On est entré dans le « dur » concernant la volonté macronienne de changer le système de retraite en France. Après la nomination en septembre dernier d’un « Haut commissaire à la réforme des retraites » (HCRR !) en la personne de Jean Paul Delevoye (ancien ministre de Chirac et ancien président du CESE), se mène sous sa responsabilité et celle de la Ministre de la Santé une très longue phase de discussions (« concertation » à la sauce Macron) avec les partenaires sociaux jusqu’à l’automne 2018, débouchant sur un projet de loi soumis à débats et votes au premier semestre 2019.
Telle est la volonté de Jupiter qui poursuit son offensive en vue d’en finir avec ce qu’il reste de notre système de protection sociale qui, malgré toutes ses limites et les attaques qui l’ont miné, demeure encore un capital pour celles et ceux qui n’en ont pas. Il est prévu que ce nouveau système entre totalement en vigueur dix ans après le vote de la nouvelle loi. Même si tout n’est pas encore calé visiblement (retraite par points ou compte notionnel…), il se confirme qu’après avoir parachevé la destruction d’un code du travail relativement protecteur, Macron veut, toujours au nom de la « modernisation de notre société », en finir avec les « archaïsmes statutaires » qui pénaliseraient « celles et ceux qui veulent entreprendre » afin d’instaurer une « politique sociale privatisée ».
Il s’agit de refonder totalement le système de retraite par répartition. Une construction reposant sur la solidarité intergénérationnelle et interprofessionnelle entre actifs-ves et retraité-es dans lequel les prestations versées sont financées pour l’essentiel par les cotisations sociales des employeurs et des salarié-es. Un système dans lequel le montant des cotisations et des prestations est négocié et connu d’avance.
C’est ce système, chargé de tous les maux dans les présentations du nouveau système, que Macron entend supprimer « au nom de l’équité », en avançant un argument « de bon sens » : « détruire les régimes spéciaux (sous-entendu : nids de privilèges), unifier le régime de la retraite entre toutes et tous et faire en sorte que « tout euro épargné ouvre les mêmes droits pour tous ». Comme il est beau le monde que Macron nous propose !
✓ « Chaque euro vaudra le même nombre de points »… C’est sûr qu’à ce petit jeu-là il vaut mieux s’appeler Arnault ou Bettencourt…
✓ Plus prosaïquement, pour la masse des actifs-ves, on passe d’une logique de solidarité négociée et construite collectivement à une logique d’individualisation des systèmes de retraite. Fini la belle idée du « de chacun-e selon ses moyens à chacun-e selon ses besoins ». Retour en arrière, triomphe de l’individualisme égoïste et calculateur du « j’y ai droit ».
✓ Evidemment, dans un tel système, mieux vaut être en bonne santé et exercer une activité pas trop pénible, histoire de pouvoir continuer à travailler le plus tard possible pour accumuler un maximum de points. Et tant pis pour ceux et celles (surtout celles) qui n’auront pas été « capables » de conserver un emploi continu et à plein temps.
✓ Et finalement, pour couronner le tout, l’arnaque totale : car derrière l’apparence du maintien d’un système par répartition, si l’on sait combien on a payé (le nombre d’euros cotisés), on n’a aucune idée de ce que vaudra le point au moment de la liquidation de la retraite.
L’enjeu concerne tous les jeunes en étude, les salarié-es du privé comme du public et les retraité-es. Il y a un enjeu collectif lié aux valeurs que l’on veut voir exister aujourd’hui dans notre société, mais aussi profondément individuel, puisque chacune et chacun sera touché par les conséquences de la mise en place d’un tel nouveau système de calcul des retraites.
Dans cette période de mobilisations, portée par la grève durable des cheminot-es, une forme d’épreuve de force est bel et bien engagée.
Elle oppose deux conceptions de la société. Celle à laquelle nous nous opposons, au service d’une minorité privilégiée, veut abolir toute forme de solidarité pour laisser la place aux seuls individus entrepreneurs d’eux-mêmes, guidés par la recherche de leur profit personnel, calculant sans relâche les coûts et bénéfices à retirer de chaque action entreprise et fiers de leur « réussite » individuelle. Il faut mettre en échec la politique libérale macronienne dont chaque élément est un maillon d’une chaîne unique. Et c’est sur chacun de ces maillons qu’il nous faut taper pour qu’une rupture advienne, et ce quelque soit le maillon qui casse.
Voilà pourquoi la bataille pour un système de retraite par répartition, solidaire, intergénérationnel, interprofessionnel, est une bataille déterminante pour l’avenir dont toutes et tous les actifs-ves ont intérêt à s’emparer sans tarder. C’est aujourd’hui, sans attendre, qu’il nous faut partout sur nos lieux de travail et de vie sociale expliciter les enjeux d’un système fondé sur les solidarités, même imparfaites, à l’opposé d’une logique assurantielle qui individualise et glisse vers la capitalisation. Il va nous falloir inlassablement expliquer que, sous couvert de simplification, c’est en réalité la volonté de mettre en place un système de retraite produisant une baisse encore plus forte des pensions futures, de manière automatisée, dans des conditions illisibles pour le commun des salarié-es. Telle est la fonction du dossier très complet que nous produisons. Une pierre dans la campagne unitaire d’explications et de mobilisations qu’il faut enclencher dès maintenant face aux orgues médiatiques macroniennes.
Une victoire de Macron, et des capitalistes dont il est le mandataire, scellerait un recul historique pour la très grande majorité de la population. Un recul qui demanderait beaucoup de temps, de conviction et de sacrifices pour être résorbé. Et si nous parvenions à stopper cette offensive néolibérale, nous pourrions engranger d’autres reconquêtes… ●
Jean-Marie Canu et Laurent Zappi