Tristan Poullaouec est maître de conférences en sociologie à l’Université de Nantes, membre du Centre nantais de sociologie (CENS) et du Groupe de Recherches sur la démocratisation scolaire (GRDS). Ses recherches portent sur le devenir scolaire et professionnel des enfants des familles ouvrières.
[**◗ Ecole Emancipée : Qu’est-ce que le GRDS ? Comment intervient-il dans le débat public ?*] Tristan Poullaouec : Constitué en 2008, le GRDS, Groupe de Recherches sur la Démocratisation Scolaire, est un groupe de chercheurs qui vise à contribuer par ses travaux à la démocratisation scolaire. Indépendant de toute structure universitaire, il s’autorise toute intervention qui lui paraît souhaitable dans le champ du débat politique. Il travaille également en toute indépendance à l’égard des forces politiques et syndicales existantes, bien que ses membres soient évidemment intéressés et participent pour certains à l’activité de celles dont les objectifs convergent avec le sien. C’est d’ailleurs le constat des limites de la réflexion des organisations progressistes sur les devenirs possibles de l’institution scolaire qui a motivé au départ la constitution de ce groupe. Le GRDS publie depuis 2009 ses analyses et ses propositions sur un site internet qui a vocation à les faire connaître et à les mettre en débat et qui accueille volontiers les contributions de ses lecteurs, tout particulièrement celles qui rendraient compte d’expérimentations efficaces du point de vue de l’accès des classes populaires aux savoirs élaborés de la culture écrite. [**◗ EE : Le GRDS a été à l’initiative de l’Appel pour une grande réforme démocratique de l’école. Quel écho a-t-il reçu ?*] T.P. : Depuis la rentrée 2010, on voit la question de l’école, et plus particulièrement des inégalités scolaires, revenir en force sur la scène publique. Le GRDS a contribué au débat en initiant la rédaction de cet appel par 50 chercheurs intéressés aux questions scolaires autour de trois idées fortes : la dénonciation de la mise en concurrence des élèves, le réexamen des dispositifs pédagogiques, la recherche des moyens d’améliorer massivement les apprentissages. Publié au cœur du grand mouvement social de l’automne, l’appel a tout de même été soutenu par plusieurs centaines de signataires, couvrant tout l’éventail des convictions pédagogiques. Ces réactions attestent de la conscience d’une nécessité de rompre avec la logique ségrégative qui domine l’école. On attend toujours en revanche les réponses des partis de gauche, auxquels l’appel s’adressait pourtant explicitement. À ce jour, aucun d’entre eux n’a seulement pris la peine d’accuser réception de cet appel ! [**◗ EE : La réforme de la formation des enseignants mise en place depuis la rentrée 2010 n’a pas tardé à montrer ses effets dévastateurs. Comment concevoir et défendre une formation qui assure la démocratisation scolaire ?*] T.P. : Pour le GRDS, la formation des maîtres doit découler des besoins d’une école commune, sans classement, ni « remédiation », ni filières, de 3 à 18 ans. Le pari de l’école commune n’est réaliste qu’à la condition expresse d’une forte amélioration des apprentissages. Et améliorer l’efficacité de la transmission ne peut être le fait que d’enseignants qui maîtrisent les connaissances qu’ils transmettent : les formes savantes de ces connaissances et leur forme curriculaire, les savoirs scolaires. La qualité de la formation disciplinaire et didactique des futurs enseignants doit leur permettre de s’approprier l’histoire et l’épistémologie de leur discipline et de son enseignement, afin qu’ils puissent sur cette base entretenir un rapport réflexif à leur propre pratique enseignante. La fameuse formule « Il ne suffit pas de bien connaître ce que l’on enseigne pour bien l’enseigner » est trompeuse : elle impose sans le dire une ligne de clivage entre d’un côté la maîtrise des contenus et de l’autre la pédagogie. En réalité il s’agit là de deux dimensions inséparables de la professionnalité enseignante, qui se recouvrent partiellement ; leur zone commune – les savoirs curriculaires et la maîtrise de leur didactique – constituant même le cœur de la culture professionnelle. Cela vaut aussi pour les enseignants du premier degré, qui devraient être, comme leurs collègues du second degré, des spécialistes de leur discipline d’enseignement. C’est pourquoi le GRDS propose de les recruter, puis de les former au niveau d’un master, parmi les titulaires d’une licence de lettres ou de mathématiques. Cela suppose de rompre avec la tradition du maître unique à l’école élémentaire, de réexaminer ses programmes actuels, d’articuler cette formation disciplinaire à une formation commune à tous les enseignants et à des stages de terrain permettant l’analyse critique des situations de classe, etc. Ni exhaustives, ni définitives, nos propositions sur ce sujet sont à débattre sur notre site internet ! Propos recueillis par Marie Haye et Mary David, pour l’EE 44