Pour l’égalité, utilisons et enseignons le langage inclusif

En pleine crise sanitaire et à un moment où les voix des femmes contre les violences sexistes et sexuelles se font entendre partout, Blanquer profite de la situation d’épuisement des personnels de l’éducation nationale pour imposer dans l’École sa vision patriarcale de la société. Dans le bulletin officiel du 6 mai sont clairement bannits des classes l’enseignement et l’utilisation du point médian et des règles d’accord de proximité ou de majorité, en vertu de plusieurs idées reçues dont la suivante : « Ces objectifs [de lutte contre les stéréotypes et d’égalité des chances] ne doivent pas être pénalisés par le recours à l’écriture dite « inclusive » dont la complexité et l’instabilité constituent autant d’obstacles à l’acquisition de la langue comme de la lecture. »
Ah bon ? Le recours à l’écriture inclusive est complexe ? Qui le dit ? Quelle études ont été menées et ont abouti à cette conclusion ? L’écriture inclusive serait instable. Si l’on ne peut pas réfuter cette affirmation, peut-on dire que la langue française est stable ? Des mots lui sont ajoutés tous les ans, cette année par exemple les maisons d’édition des dictionnaires ont ajouté « covid ». En revanche, elles ne sont pas encore d’accord sur le genre du mot, l’une préférant le masculin d’usage plus fréquent, l’autre ne tranchant pas entre l’usage et la volonté des « sages » de l’académie française, qui, rappelons-le, militent pour l’emploi du mot au féminin pour des raisons discutables (au moins) linguistiquement parlant, tout en récusant l’emploi du langage inclusif… Pour rappel, les règles d’accord ont évolué dans le temps et celle qui juge que « le masculin l’emporte sur le féminin » ne date que du 17ème siécle, moment-clé du mouvement de masculination de la langue entamé à la fin du Moyen-Âge. Notre langue est vivante et c’est évidemment ce qui en fait sa richesse, ce qui la nourrit et ce qui nous permet de penser aujourd’hui. Mais elle est aussi un objet politique, l’interventionisme réactionnaire de Blanquer le montre, ainsi que le mouvement de masculinisation de la langue qui l’a transformée en profondeur pendant plusieurs siècles, jusqu’à faire oublier qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Mais, n’en déplaise à Blanquer, la langue continue d’évoluer, cette fois pas dans le sens de la domination masculine.
Dans cette évolution, les femmes aujoud’hui et leurs alliés souhaitent dans une France égalitaire un pays dans lequel toutes et tous les enfants pourraient dès leur plus jeune âge se sentir égales et égaux les un·es des autres.
Mais comment contribuer à éduquer de façon égalitaire les élèves si le langage utilisé invisibilise les filles et les femmes ? Comment les filles se construiront en tant qu’individu égalà leurs camarades garçons si dans le langage (écrit et oral) des classes, elles n’existent pas ? Comment leur pensée leur permettra de se voir à tous les niveaux de la société, si dans les classes, il n’y a que des présents, des brillants, des intelligents, des bagarreurs… ? Pourquoi ne pas permettre aux élèves d’apprendre que notre langue évolue et qu’elle est justement en train de le faire ? Car avec ou sans l’aide de Blanquer, le langage égalitaire s’affimera ! Il y a quelques années des professeuses, des professeures et des professeurs faisaient le choix de dire qu’elles et ils n’enseigneraient plus que le masculin l’emporte sur le féminin. Il est maintenant temps de dire que nous désobéirons et que nous enseignerons le langage inclusif dans toutes les formes qui permettront d’atteindre l’égalité entre les filles et les garçons, entre les hommes et les femmes. Dans le JDD du 2 mai, Blanquer déclarait : « Nous allons mettre les points sur les i ! » ; mettons les points-médians aux mots !

Pour aller plus loin :  

Pour changer ses pratiques d’enseignement et d’utilisation de la langue, il faut déjà avoir conscience que la langue française est inégalitaire et qu’elle invisibilise les filles et les femmes. Actuellement, les mots de la langue française ne véhiculent pas de représentations symétriques entre les hommes et les femmes. Que cela n’a pas toujours été le cas et a changé par la volonté des hommes pour maintenir leur rapport de domination sur les femmes. Il nous faut avoir conscience que les termes tels que : ambassadrice, autrice, poétesse, écrivaine, procureuse, libraresse, médecienne, peintresse ou encore professeuse existaient il y a encore trois siècles. De nombreux ouvrages y font référence y compris les premiers dictionnaires de l’académie française, mais ils ont été supprimés pour invisibiliser les femmes qui les exerçaient ou rendre invisible la possibilité pour les femmes d’exercer ces métiers.
Lecture et visionnage d’Eliane Viennot, professeuse* émérite de littérature de la Renaissance :
• son site : https://www.elianeviennot.fr/
• un article https://www.50-50magazine.fr/2019/10/31/eliane-viennot-la-langue-dautrefois-est-bien-moins-sexiste-quaujourdhui-1-1
• conférence à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (2017) : https://www.youtube.com/watch?v=-j2wMF8MjRM. Celle-ci est vraiment passionnante
• Conférence aux Feuilles d’automne des écrivain·es handicapé·es et des autres : https://youtu.be/Pvsu_yGjwJ4 plus court mais tout aussi bien
Article présentant trois témoignages d’enseignantes à la suite d’un atelier qui s’était tenu en août 2018 au Congrès International des Recherches Féministes Francophones à Nanterre
Les genres décrits n° 3 (Revue GLAD)
« Peut-on montrer des tirets aux enfants ? »
Don’t Dash the Kids, Just Use Dashes
Julie Abbou, Cécile Ropiteaux, Karine Dorvaux et Hortense Colère
https://journals.openedition.org/glad/1426