Poèmes contre le racisme
Depuis sa création dans les années 1990, les éditions novatrices Rue du Monde ont toujours laissé une place importante à la poésie. Richement illustrée par les aquarelles aux couleurs criardes de Zaü, La cour couleurs est l’une des premières anthologies de poèmes publiées. Sa réédition aujourd’hui, revue et augmentée, est l’occasion de revenir sur une anthologie remarquable à plus d’un titre. Résolument contemporaine, elle ambitionne de rendre compte d’une poésie récente et vivante. A côté de quelques grands noms du XXe siècle comme Césaire ou Guillevic, on y découvre aussi des poètes moins connus mais emblématiques comme Marcel Béalu ou encore Armand Robin, et pour certain-es très actuel-les. Ce recueil d’extraits de poésie, de langue française pour la plupart, se veut aussi ouvert sur la diversité du monde. Tahar Ben Jelloun y côtoie François Cheng, Mohammed Dib et Amina Saïd.
Sous-titrée « Anthologie de poèmes contre le racisme », on y trouve certes des poèmes engagés dénonçant par exemple la tragédie de l’Aquarius (« Parole de bateau » de Carl Norac) ou encore celle qui se noue sans cesse à Calais (« A Calais » de Jacqueline Held) mais le plus souvent ces textes célèbrent la diversité des hommes et des femmes, des langues et des modes de vie, magnifiant un monde idéal où la curiosité des autres l’emporterait enfin. La poésie s’y niche aussi dans certains proverbes africain ou tibétain, ou encore dans des fragments de discours donnés à lire comme des aphorismes percutants.
Tous ces textes, clairs et courts, relèvent d’une poésie lyrique d’accès facile, idéale pour les plus jeunes.
Journal d’une fille-chien
2038, le Parti Unique du Progrès vient de prendre le pouvoir. Après avoir réglé le problème des « étrangers territoriaux » par la fermeture des frontières, le gouvernement annonce vouloir régler le problème posé par les « étrangers-familiers qui par leur difformité, leur dépendance et leur irréductible différence assombrissent le moral du pays et ralentissent la croissance de la Nation toute entière ».
Josépha fait partie de ces « anormaux » indésirables. Elle souffre d’hypertrichose, une maladie très rare qui la fait ressembler concrètement à une fille-chien ainsi qu’elle le dit elle-même. Ce dont elle souffre le plus cependant est la réaction de ses camarades collégien-nes dont certain-es n’hésitent pas à l’affubler du titre de « Miss Atrocité ». Elle se retrouve ensuite dans un centre de soins qui ressemble plutôt à une prison.
Josépha tient un journal et c’est ce journal qui pour l’essentiel nous est donné à lire dans ce roman dystopique fortement inspiré du passé. La politique du PUP a en effet un air de déjà vu. Elle rappelle celle des nazis quand ils ont décidé d’exterminer les handicapés. Comme eux, les dirigeants du PUP savent qu’il vaut mieux masquer leur forfait tout en préparant une opinion encore rétive avec une intense campagne de propagande. Celle-ci a évolué depuis Goebbels et passe désormais par la télé-réalité…
Laura Jaffé nous livre une fable autant poignante que percutante. Sous la figure tutélaire d’Anne Frank invoquée par Josépha dès la première page, ce « journal d’une fille-chien » s’adresse efficacement à des ados et leur ouvre la voie à de nombreux questionnements : le thème de l’eugénisme bien sûr mais aussi celui du rapport à l’altérité, les valeurs que peuvent transmettre des émissions de télé-réalité en apparence anodines et donc la manipulation de l’opinion…
L’intolérance étant encore bien présente dans les cours de récréation, la tentation de l’extermination n’ayant pas encore disparue de l’histoire immédiate, ce petit livre s’avère d’une utilité précieuse.
Stéphane Moulain
Jean-Marie Henry, Zaü, La cour couleurs, Rue du Monde, 2019, 18 €.
Laura Jaffé, Journal d’une fille-chien, la ville brûle, 10 €.