Suite aux récentes élections municipales ainsi que dans les communautés autonomes, la dynamique est relancée pour Podemos dans l’État espagnol. Les candidatures citoyennes, héritées du mouvement 15-M (Indignados), sont, en effet, les grandes gagnantes des élections municipales et les scores engrangés par Podemos aux élections des communautés autonomes sont aussi impressionnants. L’essor de Podemos avait débuté lors des élections au Parlement européen en mai 2014,
lorsque la formation avait obtenu 5 eurodéputé-es et 8 % des suffrages.
La dynamique Podemos tient, bien sûr, aux spécificités de l’État espagnol avec l’irruption du mouvement 15-M, la crise de la transition post-franquiste et l’affaiblissement du PSOE (parti socialiste).
L’Espagne n’est pas la Grèce, mais la crise économique et sociale est profonde avec un taux de chômage de 25 %, 40 % chez les jeunes, une baisse de 17 % du pouvoir d’achat et un appauvrissement des couches moyennes : 23 millions de personnes sont menacées d’exclusion sociale et de pauvreté. L’Espagne est le pays de l’Union européenne champion des inégalités : les 20 % des plus riches ont un revenu 7 fois supérieur au 20 % des plus pauvres.
Cette crise se combine à une crise politique : crise du régime post-franquiste, crise des nationalités (2 500 000 Catalans se sont exprimé-es pour l’indépendance et les nationalistes sont majoritaires au Pays Basque et en Catalogne), rejet du bipartisme PP/PSOE (les deux partis responsables des politiques d’austérité et liés, sans fin, aux affaires de corruption) et de la représentation (les deux partis-piliers du système ne recueillent dorénavant qu’à peine 50 % de voix), sans parler des scandales de la Monarchie.
L’irruption de mouvements sociaux et socio-politiques avec le 15 M en 2011 a ouvert un cycle de mobilisations sociales : le mouvement « STOP desahucios » – non aux expulsions – et la « Plate-forme des affectés par l’hypothèque » (PAH dont Ada Calau, nouvelle maire de Barcelone a été l’une des fondatrices et animatrices), les marches pour la dignité « du pain, un travail, un toit » et les « mareas », blanches dans la santé, vertes dans l’éducation.
Podemos est l’héritier de ces mouvements indignés. Paradoxalement, ce sont aussi les difficultés rencontrées par ces mouvements de résistance qui expliquent le succès de Podemos : espérer des victoires électorales pour lutter contre l’austérité.
Deux facteurs de succès
Podemos s’est d’emblé présenté comme un « mouvement d’unité populaire et citoyenne » pour : « Récupérer la souveraineté populaire et le processus démocratique, ne pas payer la dette et stopper les coupes imposées par des pouvoirs non- élus ».
Son manifeste fondateur : « Changer de braquet, transformer l’indignation en changement politique », exprime une certaine radicalité : « Récupérer la souveraineté populaire : c’est la citoyenneté qui doit décider et non la minorité égoïste (la caste), c’est ce qui nous a amené à cette situation. En premier, il faut placer les besoins du peuple. L’austérité et les coupes budgétaires étouffent l’économie et nos vies… il faut un moratoire pour réaliser un audit citoyen de la dette afin de déterminer quelles parties de cette dernière ne sont pas légitimes, les dettes illégitimes ne sont pas dues… ».
Et Podemos a tout de suite incarné une nouvelle façon de faire de la politique : processus participatif ouvert aux citoyen-nes tant en ce qui concerne l’élaboration du programme pour les élections que le choix des candidat-es. Avec, il est vrai, un leadership de Pablo Iglesias.
En quelques mois, Podemos s’est transformé en un grand mouvement d’adhérent-es, d’affilié-es et en une grande organisation comptant des Cercles dans tout le pays : aujourd’hui, ce sont 200.000 adhésions « cliquées » ; entre 60.000 et 120.000 votant-es lors de consultations organisées ; 20 à 30.000 militant-es dans les cercles, comités de base principalement locaux mais aussi thématiques.
Les conséquences
des dernières élections
Podemos est une réalité et non plus une hypothèse (très dépendante des sondages).
Lors de ces élections dans 13 des 17 communautés autonomes que compte le pays, Podemos a obtenu une moyenne de 14 % des votes. Il est important de souligner que dans certaines communautés autonomes, comme celles d’Aragon (20,5 %), d’Asturies (19 %) ou de Madrid (18,6 %), cette moyenne a été légèrement dépassée. Sur le terrain municipal, Podemos a participé et a appuyé des candidatures d’unité populaire, dont les succès ont été importants, comme c’est le cas à Barcelone, Madrid ou Cadiz.
Au-delà de ces succès, quelles leçons tirer de ces scrutins ? Le Parti populaire (le PP de Mariano Rajoy, chef du gouvernement) perd beaucoup de terrain (en recul de dix points par rapport aux municipales de 2011), sans s’effondrer tout à fait (il reste le premier parti, avec 27 % des voix). Il essuie de sévères revers dans des territoires clés, notamment Valence, où il devrait perdre la mairie, et aura du mal à conserver la communauté autonome. Il pourrait aussi perdre l’Aragon, si le PSOE, Podemos et Ciudadanos s’entendent, tout comme la mairie de Madrid. Il se maintient plutôt en Castille-La Manche, la région de sa secrétaire générale, Maria Dolores de Cospedal, mais le jeu des pactes pourrait, là encore, l’écarter du pouvoir.
Quelle perspective
pour Podemos ?
Dans ces élections, Podemos et les candidatures de l’Unité Populaire auxquelles il a participé ont été consolidés et les scores montrent que Podemos a effectué une percée importante sur la scène politique mais, en même temps, la perspective d’un gouvernement de Podemos n’est pas pour l’immédiat (comme le montrent les résultat dans les Parlements des Régions).
Podemos doit donc repenser sa stratégie et définir une politique unitaire qui tienne compte de sa ligne de démarcation : d’abord, chasser le Parti Populaire, formation recouvrant des secteurs de la droite et de l’extrême droite, du pouvoir et refuser tout gouvernement régional ou municipal avec le PSOE, deuxième parti de l’austérité et de la « caste ». Cette politique est fondamentale car si Podemos s’intégrait de manière subordonnée dans des coalitions dominées par le PSOE, cela signifierait la fin de la singularité de Podemos : son rejet de la caste et son extériorité au système, ce qui a fait sa force.
Par contre, les expériences dans les élections municipales montrent que Podemos peut dépasser ses propres limites en étant le vecteur des candidatures de rassemblement populaire, comme le montrent les expériences de Barcelone, Madrid, Cadix,… Le débat est ouvert à l’interieur de Podemos ainsi que dans d’autres forces politiques, comme IU – Izquierda Unida, coalition électorale avec notamment le PCE, qui a subi une énorme débâcle dans les élections.
Podemos (nous pouvons)… oui mais pas seul-es…
L’autre point important qui revient sur le devant des débats dans Podemos, c’est la nécessaire revitalisation du mouvement social, comme nous le voyons en Grèce où tout « assaut contre les institutions » doit être lié à un effort constant pour soutenir les luttes et les initiatives, comme facteur essentiel pour réussir, pour l’alternative.
L’Assemblée citoyenne d’octobre 2014, sorte de congrès fondateur de Podemos, s’était concentrée sur sa transformation en machine de guerre électorale, nécessairement gagnante, délaissant les mouvements sociaux, les luttes de terrain et s’écartant quelque peu du programme des origines, toujours en vue de gagner. Si l’objectif de disputer le pouvoir et de dépasser le simple témoignage sur le plan électoral est essentiel pour aller vers les ruptures nécessaires avec ce système, il n’y a pas de raccourcis, ni de formule magique. Cela passe par la confrontation et la mobilisation populaire sur le terrain, comme le mouvement du 15-M a su le faire, permettant d’amorcer la dynamique sur le plan politique.
Les résultats des dernières élections, mais aussi les campagnes qui ont été menées à cette occasion, rassemblant dans des collectifs unitaires des milliers de militant-es issu-es du 15-M, peuvent constituer une nouvelle étape dans la construction d’un mouvement pour une unité populaire, un mouvement de rupture avec les politiques austéritaires et libérales. Un tournant en Europe ? ●
Sophie Zafari