« Les gens ont peur que le genre soit synonyme d’une absence de règles et qu’il fasse exploser tous leurs repères. Le genre met en question le sens du mariage, les rôles de l’homme, de la femme, l’inévitabilité de l’hétérosexualité ; il semble donc introduire l’idée que tout devient possible et constitue pour certains une menace de chaos. »
Judith Butler
Pseudo « théorie du genre » contre études sociologiques, valorisation du mariage hétéro procréatif contre diversité des sexualités et des familles, anti ou pro, depuis que la question du genre a été intégrée dans des manuels de SVT, la guerre de l’égalité est ravivée. Et elle n’est pas une guerre de tranchées mais une guérilla permanente : la rue et les médias en sont le champ de bataille.
Au sein même de l’école, l’offensive est en cours. Leur rhétorique est un mélange de mensonges, d’exagérations, de glissements de sens, de phrases extraites de leur contexte… Ils se posent en défenseurs de « la complémentarité des sexes » et luttent contre « l’indifférenciation » et contre la « promotion » de l’homosexualité, qui constituent à leurs yeux de graves menaces pour la société. Amalgamant volontairement les ABCD, institutionnels, avec le travail contre les LGBTphobies du SNUipp-FSU, qui va plus loin dans la déconstruction des stéréotypes et aborde la nécessaire banalisation de l’homosexualité, ils tentent de jeter le discrédit sur toutes les actions d’éducation à l’égalité et de lutte contre les discriminations que l’école peut mener.
Un enjeu d’égalité
L’adoption de la Loi sur le mariage pour toutes et tous n’est pas, comme certain-es l’ont parfois écrit, une « petite réforme ». Les manifestations répétées de la droite et de l’extrême droite, les attaques contre des collègues ou l’école en général, sont la preuve de la réelle transformation que peut induire une nouvelle loi dans l’organisation de la société, et de la progression parallèle des textes et des mentalités. Mettre à égalité les sexualités au regard du droit permet effectivement de continuer à construire autrement les consciences.
Les débats sur le mariage pour tous ont fait émerger une homophobie qui s’exprime ouvertement, une remise en cause de l’égalité entre les sexes, de l’égalité de chacune et chacun face à la Loi, dans notre société, quel que soit son sexe ou sa sexualité.
« Ce qui s’est révélé en France, c’est ce conflit entre une forme nationaliste d’homophobie et un engagement républicain pour l’égalité ». [[ Télérama n° 3339 Judith Butler, philosophe : « Le féminisme français m’a beaucoup inspirée », Propos recueillis par Juliette Cerf.
En savoir plus sur http://www.telerama.fr/idees/judith-butler-philosophe-le-feminisme-francais-m-a-beaucoup-inspiree, 107027.php#J3JmASApe1zcS3yX.99]]
Et, si les féministes, les militant-es du mouvement LGBT, ont souvent été au centre des attaques, c’est parce que leur combat fait partie de ceux qui ont pour ambition de révolutionner une société qui crée et perpétue de plus en plus d’inégalités et d’injustices.
« Ces gens [les « anti-genre »] ont peur et ils ont raison. Oui, on ne veut plus faire de différence de traitement entre les garçons et les filles, oui, on veut leur dire qu’ils peuvent choisir leur identité, leur sexualité et même, attention, leur sexe pour ceux qui veulent en changer. »[[ Titiou Lecoq J’en ai ras le bol qu’on doive s’excuser à cause de la « théorie du genre » www.slate.fr]]
Travailler sur les questions de genre,
pourquoi ?
« Rétrospectivement, on peut dire que les féministes ont contribué à remplacer une vision moniste et économiciste de la justice par un mode de compréhension tridimensionnel qui regroupe et inclut l’économie, la culture et la politique. » [[ Nancy Fraser « Féminisme et capitalisme : une ruse de l’histoire 1 » (Contretemps n° 6).]]
Appeler à un travail réel et quotidien de ces questions au niveau professionnel et militant, c’est appeler à combattre une certaine idée de la société : celle qui veut maintenir une organisation inégalitaire tant sur le plan intime que public. Nous devons convaincre de la nécessité de lutter contre le système capitaliste et contre le système patriarcal, car c’est contre toutes les dominations que nos revendications et nos actions doivent converger : contre les inégalités dites « naturelles », contre le racisme, contre le sexisme et l’homophobie, ce qui inclut également les inégalités de classe sociale, d’où la particularité de notre militantisme qui s’inscrit naturellement dans un féminisme « lutte de classes ».
Les syndicats dans tout ça ?
Le rôle des militant-es syndicaux est essentiel dans la campagne de lutte et de conviction qu’il faut actuellement mener contre l’extrême droite notamment. Mais les enjeux syndicaux sont bien plus larges : les chantiers sont ceux de l’égalité des conditions et des salaires dans le travail, la question du harcèlement moral et sexuel lié au sexe ou à la sexualité, l’investissement dans les campagnes de lutte contre les violences, l’investissement dans les campagnes LGBT, la mise en avant de revendications liées au corps des femmes et à la sexualité…
Le syndicalisme de transformation sociale qui est le nôtre ne peut encore considérer les questions de genre comme périphériques ou comme un supplément d’âme. Elles sont liées tant à la défense des collègues qu’au rôle du service public dans la non-reproduction des inégalités.
C’est ce que disaient les féministes radicales dans les années 1970 : « une fois l’inégalité hommes/femmes brisée, toutes les inégalités pourraient être mises à plat. » [[4) « Le féminisme, d’abord une question d’égalité » le 8 mars 2011 Andréa Fradin,
Interview de Marion Charpenel www.ovni.frhttp://www.ovni.fr/]]●
Ingrid Darroman