article paru dans la revue de l’école émancipée de mai 2019
À la veille des élections européennes, on ne peut pas dire que celles-ci soulèvent un grand enthousiasme : autour de 40 % de participation prévue. Une tendance installée depuis les années 2000, en lien certain avec une crise larvée de l’Union européenne (UE) et une perte majeure de crédibilité en la possibilité pour une quelconque souveraineté populaire d’y peser significativement (à cause des suites du référendum de 2005).
Cette attitude est-elle le signe d’une indifférence ? Cela ne semble pas être le cas, car toutes les enquêtes d’opinion montrent que, si le refus de l’Europe telle qu’elle est paraît général, la grande majorité reste quand même attachée à l’idée d’Europe. C’est plutôt d’impuissance dont il faut parler. Face à une Union européenne dont le fonctionnement antidémocratique est patent et dont les décisions apparaissent au mieux indifférentes au sort des gens, au pire comme l’aggravant consciemment, il paraît difficile, sinon impossible, de changer le cours des choses.
Pourtant, l’UE est dans une crise existentielle majeure. Pour la première fois, un pays, et non des moindres (le Royaume-Uni), a décidé de la quitter. On peut certes penser que ce pays a toujours été en marge de la construction européenne et que le vote pour le Brexit a été dominé par une réaction xénophobe. Mais la logique qui prévalait jusqu’alors était celle d’une extension de l’UE à toujours plus de pays. Cette logique est aujourd’hui cassée. De son côté, la Grèce a subi depuis 2010 une destruction massive, consciemment mise en œuvre par les institutions et les gouvernements européens. Ces derniers l’ont étranglée financièrement en empêchant le gouvernement Syriza d’appliquer le programme pour lequel il avait été élu, le forçant à capituler. Suite à la crise financière de 2008, la zone euro a failli exploser sous l’impact de trajectoires économiques divergentes entre les pays et de la spéculation sur les dettes publiques. Si après beaucoup d’hésitations, la Banque centrale européenne (BCE) s’est décidée à intervenir vigoureusement, cela n’a pas empêché la mise en œuvre de politiques d’austérité massive qui ont amené l’UE au bord de la déflation, entraînant récession puis stagnation économique.
Les gouvernements et les institutions européennes ont mis en place à rythme forcé les instruments politiques et juridiques pour rendre les politiques néolibérales irréversibles. De nouvelles règles (Six-Pack, Two-Pack) et le Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012 ont ainsi durci l’obligation d’austérité et le contrôle des politiques économiques des États par la Commission européenne. Ils ont même été jusqu’à les faire inscrire dans le marbre des constitutions nationales, afin de les rendre irréversibles. Les politiques économiques et sociales, réduites à l’application de normes disciplinaires, sont exclues du débat public et de la décision démocratique. Un fédéralisme autoritaire s’est ainsi mis en place.
Efficace, donc, pour imposer des politiques économiques et sociales régressives, ce fédéralisme autoritaire n’a pas empêché que l’UE soit paralysée devant une arrivée de migrants qu’elle n’aurait pourtant eu aucun mal à accueillir. Le refus de l’accueil a été l’attitude dominante et s’est accompagné d’un refus de plus en plus net du sauvetage en mer. Produit de la crise, du sentiment de dépossession des peuples et de la débâcle des « partis de gouvernement » à laquelle amène ce déni de démocratie, l’extrême droite est en progression partout et déteint de plus en plus sur la droite classique. Elle aura un poids très important au sein du prochain Parlement européen et veut reconfigurer le continent pour promouvoir une Europe autoritaire des nationalismes.
Face à cette offensive et à cette crise, et voulant conforter une opposition entre « progressistes » pro-européens et nationalistes, Macron ne propose qu’une réforme minimale de la zone euro qui ne remet pas en cause les fondamentaux d’une Europe néolibérale et antidémocratique, mais qui au contraire les conforte (même si sa proposition de budget de la zone euro est déjà retoquée). S’agit-il d’errer entre un fédéralisme néolibéral autoritaire et un nationalisme, non moins néolibéral, mais anti-européen ? Il est nécessaire de montrer qu’il existe des politiques susceptibles de remplacer les politiques néolibérales. Aucun changement substantiel n’aura lieu sans mobilisations populaires débouchant sur une rupture politique d’un ou plusieurs pays avec les orientations actuelles et l’ouverture d’une crise majeure en Europe. Il est sûr que cela passera par un affrontement avec les institutions européennes et les marchés financiers et pourra entraîner une désobéissance aux traités et directives européennes.
Tout dépendra des rapports de force qui pourront être construits à l’échelle européenne avec toutes les forces européennes de gauche et, en premier lieu, avec un mouvement social européen à revivifier. C’est la voie pour ouvrir la refondation d’un nouveau projet européen.
Laurent Zappi