Où en est L’Europe: Quel mouvement social….

Le 26 avril dernier, la Confédération européenne des syndicats (CES), consciente de la gravité de la situation en Europe à quelques semaines des prochaines élections, avait appelé à se mobiliser : une marche syndicale à Bruxelles pour revendiquer une ”Europe plus juste pour les travailleurs”. La petite participation (à peine 8.000 syndicalistes dont la moitié de Belgique et de France selon la CES) montre de façon singulière l’état du mouvement syndical européen.

Un mouvement syndical qui, depuis 2004 perd en adhérent-es et n’arrive pas à capter les jeunes générations. Les taux de syndicalisation sont très variable d’un pays à l’autre et difficilement comparable tant les histoires et systèmes diffèrent. De près de 10 % en France ou en Pologne, il frôle les 20 % en Allemagne et en Espagne et culmine à près de 70 % en Suède et Finlande. Mais la tendance est la même partout : le nombre de syndiqué-es est en baisse drastique. Les raisons sont multiples et notamment les transformations dans le monde du travail, qui a conduisent notamment à une reconfiguration de la division du travail, à une forte précarisation. Cette transformation majeure a fragmenté les groupes sociaux dominés d’une manière nouvelle par rapport à la période historique du capitalisme industriel.

De plus, la CES et beaucoup des grandes confédérations syndicales ont poursuivi leur agenda de “ dialogue social” dans un contexte où les marges de manœuvre sont plus étroites jour après jour. Cet affaiblissement, c’est aussi le résultat de l’impasse due à l’absence de réflexions, de réorientations et de nouvelles pratiques dans l’action syndicale face à la gravité de la crise.

Face à la nécessité et aux difficultés de construire un mouvement social européen, les Forums sociaux européens (FSE) ont correspondu un temps à ce défi au début des années 2000 avec de véritables succès mais, il faut admettre que cette dynamique s’est enrayée et cela, au-delà des formes d’organisation de ces forums, du fait de l’évolution de la situation de l’Europe et en Europe. Une sorte de paralysie s’est installée sur fond de divergences sur le rapport aux institutions européennes, sur la radicalité dans les propositions politiques et le manque d’ancrage populaire par la faiblesse des liens avec les mouvements sociaux « d’en bas ». Mais, il faut noter que des initiatives comme l’Alter-summit, Blockupy, les mobilisations contre les projets inutiles ou anti-charbon allemand (Ende Gelande), et contre les traités de libre-échange par exemple, en sont un héritage.

Nouvelle période, nouveaux mouvements

On assiste en ce moment à ce qu’on pourrait définir comme un processus de transition. Cette dernière décennie a connu l’émergence de mouvements qui ont marqué la conjoncture : la colère populaire ne cesse de s’exprimer en Europe contre les politiques au service des plus riches et des grandes entreprises, contre l’orientation austéritaire et autoritaire des politiques menées en Europe. Elle a pris la forme d’initiatives syndicales, mais aussi de nouveaux mouvements tels que « 15-M » en Espagne -« Indigné-es » -, l’occupation des places en Grèce et les manifestations massives au Portugal en 2011 et 2013, les mouvements contre la « loi travail » en France et contre la taxe sur l’eau en Irlande en 2016, les grandes manifestations pour l’autonomie et contre la répression politique en Catalogne en 2017. Les luttes féministes ont donné lieu à des mobilisations historiques en Pologne (« Czarny Protest » contre la loi anti-IVG en 2017), en Italie (mouvement « Non Una di Meno » depuis 2016), en Espagne (grève générale féministe de 5 millions de personnes le 8 mars 2018), ainsi qu’en Irlande avec la légalisation de l’avortement par référendum en mai 2018. L’année 2018 a encore vu émerger des mobilisations sociales nouvelles avec par exemple le mouvement contre « la loi de l’esclavage » (réforme néolibérale du droit du travail) en Hongrie, la manifestation et le développement du mouvement antiraciste « Indivisible » en Allemagne, et en France le mouvement des Gilets jaunes. Sans oublier les manifestations écologistes pour le climat, portées notamment par la jeunesse qui se met en grève dans de nombreux pays comme en Suède, au Danemark, en Suisse, en Belgique, en France ou encore en Grande-Bretagne.

Il faut souligner aussi (et moins négliger) les mobilisations dans les secteurs hautement précaires comme dans le nettoyage hôtelier, les livreurs de Globo ou dans la chaîne Amazon, avec des formes de lutte qui partent de zéro et se construisent en fonction de la réalité de chaque secteur.

Tous ces mouvements ont une portée politique parce qu’ils mettent au centre la question démocratique et celle de la justice sociale, deux questions qui catalysent aujourd’hui les enjeux de lutte contre le système, au coeur de l’UE. Les mobilisations de désobéissance, d’auto-organisation et de construction d’alternatives qui se développent, sont autant de contestation de l’ordre existant, en s’installant sur la scène sociale et politique. Cela devrait interroger le mouvement syndical sur les limites du syndicalisme tel qu’on l’a connu les dernières décennies et trace la voie d’un renouveau plus général d’un mouvement social à l’échelle européenne.

Sophie Zafari

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