La FSU a adopté des mandats assez clairs lors de son dernier congrès concernant les questions d’unité du syndicalisme. En pleine poursuite
de la crise, avec un mouvement syndical qui pèse très peu et n’arrive pas
à empêcher les remises en cause en cascade frappant le monde du travail, il est de plus en plus décisif, pour redresser la tête, de renforcer le poids d’un syndicalisme de lutte refusant l’accompagnement. Pour autant,
les choses ne sont pas faciles…
Il faut d’abord distinguer unité d’action et unification organique de structures syndicales. La première est à rechercher systématiquement pour construire une mobilisation car elle renforce l’unité des salarié-es. Elle se fonde sur des plates-formes conjoncturelles pour l’action. Elle est par nature à géométrie variable selon les moments et les sujets, même s’il faut chercher à rassembler le plus grand nombre de syndicats. En ce sens, elle ne préfigure pas une quelconque unification des organisations, même s’il va de soit que, dans la perspective d’une unification, la logique veut qu’on se retrouve régulièrement ensemble dans l’action. Autrement dit, on peut être dans la rue et dans la grève avec la CFDT, l’UNSA ou FO sans avoir aucun projet de rapprochement organique par ailleurs !
Le contexte politique joue beaucoup aujourd’hui pour concrétiser cette unité d’action. On voit bien qu’il est plus difficile de construire quelque chose avec tous les syndicats comme c’était par exemple le cas contre le projet Sarkozy sur les retraites. Parce que le capitalisme financier se remet de la crise de 2008, parce que la posture des uns et des autres n’est plus la même vis à vis du gouvernement « de gauche », des éléments d’analyse sur la « sortie de crise » étant partagés avec celui-ci par une partie des syndicats…
Il est pourtant nécessaire de continuer à vouloir rassembler le plus largement à chaque occasion, pour continuer à construire des ripostes possibles, ne serait-ce que pour que les salarié-es se rendent compte par eux-mêmes de qui refuse l’unité et pourquoi.
Nouvel outil syndical…
Avec qui ?
« Des différences entre les formes et les orientations de syndicalisme existent. Pour construire un syndicalisme de luttes et de transformation sociale, la FSU entend poursuivre et accentuer son travail avec la CGT et Solidaires, sans mettre a priori de limites sur les forces qui pourront participer à cette construction. » (congrès FSU de Poitiers, 2013)
S’il n’est pas toujours aisé de tracer une limite indiscutable entre ce qui serait une orientation syndicale dite « réformiste » et une orientation de transformation sociale, il n’en est pas moins vrai que le mouvement syndical est traversé par des divergences de fond qui sont des tendances lourdes et structurent les projets syndicaux.
Ce qu’on appelle le « réformisme » aujourd’hui sur le terrain syndical est l’orientation qui consiste à accompagner les remises en cause profondes du modèle social mis en place après 1945, en leur donnant un caractère « social » et plus acceptable par le salariat. Il y a l’idée que les évolutions libérales en cours sont inéluctables et il convient que le syndicalisme les rende moins douloureuses à des salariés supposés résignés. La CFDT et l’UNSA sont représentatives de cette orientation. Les prises de position de la CFDT sur les retraites, sur la compétitivité ou sur l’ANI illustrent bien cette logique de fond qui à chaque fois prend pour postulat de base le point de vue du patronat : le régime de retraite est en faillite et le coût du travail pèse sur la compétitivité des entreprises…
C’est une logique fondamentalement « interclassiste », c’est-à-dire qui considère que les intérêts des travailleurs sont liés à ceux du patronat qui les emploie et l’idée d’aller à l’affrontement avec ce dernier n’est posée que sur les marges pour les « élargir » un peu, mais pas les remettre en cause. C’est une posture qui veut ignorer les mutations néolibérales du travail et qui part du primat absolu du « dialogue social » dans ses rapports avec patronat et gouvernement.
Le syndicalisme de transformation sociale postule au contraire que les intérêts du patronat, des « concentreurs de capitaux » et du salariat sont antagoniques, que le capitalisme doit être remis en cause dans une optique de transformation radicale de la société. Ce qui implique une logique de confrontations et de rapports de forces.
C’est pourquoi la FSU est porteuse d’alternatives sociales, économiques et écologiques, et c’est ce qui donne un fil à plomb aux revendications qui constituent la tâche quotidienne du syndicalisme. Les batailles pour l’emploi, les salaires, pour la réduction du temps de travail, l’augmentation des cotisations patronales, pour une fiscalité plus juste et redistributive, etc. sont initiées afin d’imposer un partage des richesses produites plus favorable au monde du travail et de limiter la puissance patronale, sans être dissociées d’une ambition plus vaste de transformation de la société.
C’est pourquoi nous pensons, à l’EE, qu’il y a bien une différence de nature entre syndicalisme « réformiste » (ou plutôt d’accompagnement) et syndicalisme de transformation sociale, et pas seulement une différence de degré (au sens ou le second serait le premier en plus radical ou moins pragmatique), même si les deux peuvent se retrouver ponctuellement dans l’action sur des revendications partielles et immédiates.
Si les organisations syndicales ne sont pas monolithiques, le centre de gravité des unes et des autres ne se situe pas au même endroit et les tensions qui agitent l’interpro nationale régulièrement ne sont pas seulement des concurrences d’appareils.
Ainsi, il est assez logique que les mouvements de convergence qui sont apparus ces derniers mois, tout en s’appuyant sur des logiques imposées par les nouvelles règles de représentativité syndicale, renvoient à des proximités d’orientation. Le pôle dit « réformiste » essaye d’avancer autour d’un axe CFDT-UNSA.
Les convergences entre CGT, FSU et Solidaires, pour moins avancées qu’elles soient, n’en renvoient pas moins à une orientation alternative, même si elle peut être « en creux » (et si CGT comme FSU sont traversées d’orientations qui peuvent diverger). En ce sens, on peut apprécier ces rapprochements non pas comme procédant d’une logique de division du mouvement syndical, mais au contraire comme d’une logique de clarifications des options en présence.
Il faut faire en sorte que les salarié-es se saisissent de ce débat, qui ne manquera pas de s’aiguiser dans les prochains affrontements sociaux.
Rassembler tout le monde ?
A certains moments, les clivages sont moins forts dans le syndicalisme (sous Sarkozy par exemple…) et revient l’idée d’un rassemblement de tous (d’aucuns diraient « la grande CGT » des années 35/39 ou 43/47…). Une occasion de revenir sur une forme de spécificité française où le syndicalisme est très divisé ? Une grande unité structurelle n’est pas à exclure en soi, mais, selon le contexte social, les « gagnants » ne seraient pas les mêmes. « À froid », ce serait certainement le pôle réformiste qui emporterait la mise. Dans un contexte de lutte, ce serait le pôle de lutte qui serait sans doute gagnant. Tout cela ne saurait nous laisser indifférents.
Mais aujourd’hui, c’est plus qu’hypothétique et peu crédible dans les équipes syndicales. D’où l’intérêt de se concentrer sur le rassemblement du syndicalisme de lutte pour peser plus efficacement sur l’ensemble du syndicalisme et être force dynamique pour les salariés…
Valse à 2 temps,
valse à 3 temps…
Sont concernées la CGT naturellement, Solidaires et la FSU (ce qui n’exclut pas d’autres équipes combatives intéressées par la démarche…). Chacune de ces trois organisations syndicales a un fonctionnement interne et une culture démocratique bien spécifiques. Elles sont porteuses d’une ambition de transformation sociale et d’une conception du syndicalisme « lutte de classes » (avec des « nuances »…). Elles sont d’ailleurs « identifiées » à cette aune chez les salariés et dans le « grand public »…
Il faut travailler en direction de la CGT et de Solidaires simultanément, tout en cherchant à sortir du double bilatéralisme à l’œuvre jusque-là. On ne peut pas préjuger de l’attitude respective de nos deux partenaires (que fera la nouvelle direction Le Paon vis-à-vis de la FSU et de Solidaires ? Solidaires se montrera-t-elle moins frileuse à l’endroit de la CGT ?), surtout si le mouvement social s’en mêle. Il faut avancer en essayant de garder la boussole du rassemblement de tous les protagonistes possibles, sans exclusive.
Tout le monde voit bien que faire des colloques en commun est un premier pas mais est insuffisant. La question se pose maintenant de créer des espaces d’échange et d’élaboration pérennes, d’avancer sur un travail en commun dans certaines instances comme les CESER, d’agir ensemble de façon plus systématique, de se présenter éventuellement ensemble aux élections professionnelles, etc.
Faire des pas en avant concrets pour donner du contenu au rapprochement est donc souhaitable mais doit être évalué collectivement pas à pas. Dans un contexte où la FSU est travaillée par des dynamiques centrifuges fortes, chacune de ses composantes (SN, SD et CFR) doit avoir le souci d’agir en cohérence avec l’ensemble de la fédération et éviter les cavaliers seuls, que ce soit aux élections professionnelles ou autres. L’action des uns sur une question aussi politique et transversale engage tous les autres, les instances fédérales doivent donc s’assurer la maîtrise de ce débat-là. ●
Laurent Zappi