EDUCATION
- pp. 7-8-9 du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée, par Marie Haye et Adrien Martinez –
La publication volontairement tardive des textes sur le pacte a permis au gouvernement
de mener une campagne de promotion, relayée par les inspections et rectorats au printemps. Les promesses et les menaces n’ont pourtant pas suffi à convaincre les enseignant·es de signer, en partie grâce à la campagne active des syndicats éducation de la FSU. L’enjeu de la rentrée est maintenant de décoder ces textes et de convaincre que le Pacte est le contraire de l’Éducation nationale que nous voulons.
Quel est le point commun entre les mots pacte, pacifier et impact ? Ils sont de la même famille, dont l’un des ancêtres latins est le nom pax : « la paix ». On reconnaît bien ici la Novlangue libérale : en lieu et place de paix, la mise en place du Pacte s’apparente à une véritable guerre de la Macronie contre les enseignant·es et, à travers elles et eux, contre l’école. Et si le Pacte, c’est la paix, le refuser, c’est déclarer la guerre, si l’on en juge par ce qui s’est produit au printemps dans les écoles et établissements.
Les textes réglementaires se sont fait attendre : la publication des décrets, arrêté et surtout de la très inflammable note de service précisant les modalités de mise en œuvre (parue le 27 juillet au Bulletin officiel, premier acte du nouveau ministre Attal) a été différée à dessein. Il s’agissait de gagner du temps et d’entretenir le flou nécessaire au ministère, et aux rectorats en cascade, pour vendre le Pacte dans les médias et à grands coups de diaporamas institutionnels destinés aux inspecteur·trices de l’Éducation nationale (IEN) et aux directions d’établissement. Pour s’assurer les bons et loyaux services de celles-ci, le ministère a assez vite annoncé une prime de 1 000 euros, « sans condition », mais pour la mise en place du Pacte.
Promotion sur les parts de Pacte !
Les directions et IEN se sont ainsi livrée.es à un discours promotionnel sur le Pacte : arrondis trompeurs (les briques de Pacte seraient rémunérées « 70 euros de l’heure »), incitations à « se positionner » dès maintenant puisqu’il n’y en aurait « pas pour tout le monde » (d’autant plus que, pour le second degré, les heures supplémentaires − HSE ou HSA et les indemnités de missions particulières – IMP allaient disparaître à la rentrée 2024). Dans le premier degré, des IEN ont enfin reconnu les compétences professionnelles des collègues : qui d’autre que les professeur·es des écoles pour venir en aide aux élèves de 6e, en particulier en lecture ? Et puis le Pacte allait permettre de rémunérer, enfin, les nombreuses actions et projets qui ne l’étaient pas ou peu jusque-là, par le biais d’une part « innovation pédagogique » par exemple. Dans le second degré, toutes les directions ont prétendu que les remplacements de courte durée ne seraient pas obligatoires ni même prioritaires. La grande braderie en a même conduit certaines à promettre à des collègues qu’iels pourraient cumuler HSA, HSE ou IMP et Pacte, pour une même mission. Et concernant le contrôle de la réalisation des heures pour lesquelles on s’engage en signant une part quantifiable, il n’aurait pas lieu, puisque comme chacun·e sait, dans l’Éducation nationale, on travaille « en confiance » : « si vous faites 9 heures au lieu de 18, vous aurez quand même la prime ! », ont ainsi dangereusement avancé plusieurs chef·fes d’établissement.
Contraintes, chantage, menaces
Cette opération publicitaire d’envergure s’est souvent heurtée à un principe de réalité, la méfiance voire l’hostilité des salles des prof·es et des maître·sses, les collègues étant déjà submergé·es de travail. Des directions ont pu prendre des mesures coercitives : ici, un chef d’établissement a revu la répartition de la dotation horaire globale afin qu’elle ne finance plus certains dispositifs, dans le but de contraindre des collègues à signer un Pacte pour continuer de s’y impliquer. Là, une direction, sans toutefois l’assumer explicitement, a réduit la voilure du paiement des HSE pourtant dûment réalisées et déclarées, pour les seul·es collègues ayant annoncé refuser le Pacte. Ailleurs, des directions ont annoncé que les non-signataires du Pacte verraient leurs emplois du temps dégradés au profit des signataires. Des IEN et chef·fes d’établissement ont très fortement incité des collègues à signer le Pacte en vue de leur rendez-vous de carrière. On le voit, les corps d’inspection et de direction n’ont pas ménagé leurs efforts, traduisant la volonté de l’institution de communiquer à la rentrée sur un pourcentage significatif de signatures et de missions couvertes.
Une puissante campagne syndicale
Cette offensive hiérarchique est la réponse à la campagne initiée par les syndicats de l’éducation de la FSU, dont elle révèle en creux la force. Multipliant les heures et réunions d’informations syndicales dans les écoles et établissements ainsi que les prises de position médiatiques, développant les outils de décryptage (diaporamas, tracts) et de refus collectifs (trames de courriers, de motions, de lettre pétition), travaillant à des expressions unitaires contre le Pacte, le tout selon leur propre agenda, les syndicats de l’éducation de la FSU ont fait fort. Certaines directions ont d’ailleurs rendu, sans le vouloir, un bel hommage à cette campagne syndicale à laquelle elles ont entrepris de répondre dans des diaporamas en forme de vrai / faux sur le Pacte : tout ce qui y était présenté comme « faux » relevait du discours syndical.
Cette campagne a porté ses fruits et, à titre individuel et collectif, les refus s’annonçaient majoritaires, parfois unanimes, au printemps ! Une tribune de professeur·es des écoles de l’agglomération du Havre (« Nous ne pactiserons pas ! ») a recueilli début juillet plus de 230 signatures. Des directions ont ainsi jeté l’éponge et fait remonter à leur rectorat qu’aucun·e collègue n’était volontaire. Certaines sont même allées jusqu’à soumettre le principe du Pacte au vote des CA, en sachant que les votes contre seraient majoritaires.
À la rentrée et après, donner le coup de grâce
La première bataille est gagnée, mais la période de la rentrée sera cruciale pour ne pas perdre sur le terrain des refus majoritaires. À ce titre, le décryptage de la lettre et de l’esprit des textes sera d’une grande aide, car ils contredisent l’interprétation doctrinale qui en était faite lorsqu’ils n’étaient pas encore parus, servie par les hiérarchies locales et par la macronie dans les médias. En particulier, la note de service, qui contient notamment un modèle de lettre de mission dans lequel un paragraphe permettra aux directions d’établissement d’imposer tout et n’importe quoi aux signataires.
Cela sera l’occasion d’engager un travail véritablement fédéral des syndicats de la FSU, pour fédérer les refus et entraîner les autres organisations syndicales le plus largement possible. Le lien avec les associations de parents sera à retisser très rapidement : il sera nettement plus facile pour les collègues de refuser le Pacte s’iels se sentent soutenu·es par les usager·ères. Pour le second degré, il y aura un enjeu tout particulier autour des remplacements et de la continuité du service public. C’est aussi au sein de nos salles des maître·sses et des prof·es qu’il faudra travailler l’unité, y compris avec les collègues qui signeront le Pacte et pourraient se retrouver plus ou moins vite sous pression. Il y a un enjeu syndical à ne pas laisser ces collègues voué·es aux gémonies, d’autant qu’iels ne signeront pas nécessairement par conviction, et que le pouvoir compte sur la division pour imposer ses vues.
De véritables augmentations de salaire pour toutes et tous les enseignant·es et au-delà pour tous les personnels sont une perspective unifiante : il faudra rendre crédible cette perspective et mobiliser massivement, avec le vote du budget en ligne de mire. En Grande-Bretagne, après avoir engagé un bras-de-fer avec le gouvernement s’étant traduit notamment par huit jours de grève l’an dernier, les syndicats enseignants viennent d’obtenir une augmentation de 6,5 % : il s’agit de la plus importante depuis 30 ans. Voilà qui donne de l’espoir !
Pour l’heure, en dépit des trésors d’inventivité de toute la chaîne hiérarchique pour récolter un maximum de signatures, les collègues ont majoritairement compris que pactiser était risqué et l’ont exprimé à titre individuel et collectif. Il faut transformer l’essai à la rentrée, sans baisser la garde ensuite : reste à convaincre définitivement que pactiser, ce n’est pas faire la paix mais composer avec la faiblesse de nos rémunérations, transiger sur nos statuts et en rabattre sur la qualité du service rendu. Le Pacte ne consiste pas à rémunérer les enseignant·es pour ce qu’iels font déjà, mais à les détourner du cœur de leur métier pour leur faire appliquer la politique éducative d’un Macron ministre de l’Éducation nationale. ■