Mémorial pour les ouvriers d’Aulnay

Fin octobre dernier, comme en écho à la dernière voiture produite
dans les usines d’Aulnay de la firme PSA, paraissait le livre de Sylvain Pattieu,
« Avant de disparaître » aux éditions Plein Jour.

Il s’agit du recueil de la parole d’ouvriers de ce site qui se sont confiés auprès de l’auteur, racontant leur trajectoire personnelle, leur histoire au sein de PSA-Aulnay, comment ils sont entrés dans l’usine, comment ils y ont travaillé – une tranche de vie, parfois très longue – et comment ils perçoivent cette partie de leur vie, alors qu’ils savent que la page est en train d’être tournée.

La lecture de ce recueil est passionnante et très émouvante.

Ce tissu de micro-histoires individuelles constitue au final une grande fresque et se donne à lire comme la version intime d’une certaine histoire industrielle.

Les voix s’entremêlent et l’on découvre peu à peu les différentes générations d’ouvriers qui peuplent les ateliers du site. Les plus anciens se rappellent de la grève de 1982, une grève mythique parce que c’était la première.

C’est qu’Aulnay est une forteresse ouvrière d’un genre particulier. La direction a favorisé un recrutement d’immigrés venus principalement du Maghreb, considérés comme plus malléables et facilement soustraits à l’influence néfaste de la CGT.

Avec eux, le paternalisme régnait en maître, l’adhésion au syndicat maison, la CSL était quasi obligatoire.

La grève de 1982 marque une rupture forte, la fin, non pas de ce système, mais de son hégémonie. Rétrospectivement, c’est aussi la fin de l’époque où l’avenir paraissait assuré, où il n’y avait pas de menace de plans sociaux.

**Une drôle de forteresse ouvrière

L’histoire que racontent ces témoignages est loin des clichés véhiculés par la tradition communiste d’une classe ouvrière qui se veut forte et unie.

Le monde des ouvriers d’Aulnay est très divers, on y trouve des immigrés d’origines variées, des gens venus des villes, d’autres des campagnes, beaucoup d’hommes mais aussi des femmes, des titulaires et des intérimaires…

Autant d’univers mentaux différents. Cela se ressent dans les attitudes face à l’encadrement, dans le choix ou le refus des appartenances syndicales, appartenances syndicales multiples qui permettent l’émergence de véritables cultures d’atelier parfois revendiquées.

Mais au-delà de cette diversité, on trouve le chemin d’une fierté qui s’affirme malgré les désillusions et la dureté de l’exploitation vécue. Elle se nourrit parfois de fierté professionnelle mais surtout s’appuie sur de multiples stratégies qui ont permis aux uns et aux autres de résister à leur manière à l’incroyable pression, étouffante, exercée en permanence par l’encadrement et qui transparaît au fil de chaque page.
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**La lutte de David contre Goliath

La parole des ouvriers d’Aulnay est entrecoupée de courts textes de l’auteur qui la mettent en perspective avec les grands événements de l’histoire ouvrière, et aussi celle du site.

Elle acquiert ainsi une densité plus forte en s’inscrivant dans la longue histoire de l’exploitation ouvrière et des luttes qui l’ont jalonnée.

Une histoire qui se conjugue aussi au présent avec la relation de la grève déclenchée l’an dernier contre la fermeture. Cette grève de la dernière chance frappe par son exceptionnelle durée, presque quatre mois, plus encore que celle des mineurs en 1963 nous fait remarquer Sylvain Pattieu.

Elle a échoué à empêcher la fermeture du site mais a contribué à améliorer les conditions de départ. C’est bien là la marque d’une époque.

PSA-Aulnay vient s’ajouter à la longue liste des sites industriels, parfois prestigieux, mais le plus souvent à la notoriété tardive qu’apporte l’annonce de la fermeture et de l’ultime lutte et dont on sait désormais qu’ils témoignent d’une industrie qui se défait et d’un certain monde ouvrier qui disparaît.

Témoignage d’espoir et d’amertume, ce livre essentiel nous parle de l’actualité de la lutte des classes et rend compte de la « vérité du rapport de force, dégradé ».

C’est sur ce terreau que prospère le Front National dont quelques pages se font l’écho insidieux, assourdi et d’autant plus inquiétant. La lutte de ceux d’Aulnay, c’était « David contre Goliath, mais sans happy end ».

Cependant, elle a permis de « ne pas se laisser écraser » et c’est essentiel. Elle a été le chemin d’une dignité retrouvée et cet ouvrage en donnant à lire le témoignage de ceux que d’ordinaire on n’entend pas y contribue aussi grandement. ●

Stéphane Moulain

Sylvain Pattieu, Avant de disparaître, Plein Jour : 19,5 euros.