Les multiples réformes depuis 1993 n’ont pas permis d’équilibrer le système de retraites,
mais ont largement dégradé les conditions de départ à la retraite des salariés.
Le Conseil d’orientation des retraites prépare le terrain pour une nouvelle réforme néolibérale.
D’autres solutions existent pourtant, basées sur un autre partage des revenus.
On va bientôt reparler des retraites. Pourtant, on nous avait bien dit que la question était réglée après plusieurs réformes successives, pour les salariés du privé en 1993 et leurs retraites complémentaires en 1996, pour ceux de la fonction publique en 2003, pour certains régimes spéciaux en 2007 et pour tout le monde en 2010. Mais ce qui était prévisible est arrivé.
Les gouvernements pensaient équilibrer financièrement le système de retraite par l’allongement de la durée de cotisation (portée désormais à 41,5 ans), par le recul de l’âge où l’on peut faire valoir son droit à la retraite (62 ans) et celui de la pension à taux plein (67 ans) ou par la baisse des pensions due à une prise en compte de 25 années pour calculer le salaire de référence dans le privé, enfin par l’indexation des pensions sur les prix au lieu des salaires.
C’était ignorer l’état de l’emploi depuis plusieurs décennies et, en 2010, c’était méconnaître l’ampleur de la crise qui sévissait déjà.
Dans ces conditions de marasme économique, il était fatal que les mesures prises ne résolvent pas la question financière des régimes de retraite. En revanche, elles provoquent une dégradation progressive des conditions de retraite de tous les anciens salariés, particulièrement les femmes, dont la vie active a été et est marquée par la précarité, le chômage intermittent ou durable et les bas salaires. En 2012, les 600 000 salariés du privé qui sont partis à la retraite ont liquidé leurs droits à 62 ans et 2 mois en moyenne, alors que l’âge légal de départ pour la génération de 1952 est de 60 ans et 9 mois. Cet âge légal augmente de 5 mois par an et atteindra 62 ans pour la génération de 1955 ; l’âge de la pension à taux plein augmente parallèlement.
Des hypothèses ni sociales
ni écologiques
Les derniers rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) de décembre 2012 et de janvier 2013 font état d’un besoin de financement du système de retraite pour l’année 2011 de 14 milliards d’euros, dont 7,9 milliards pour les régimes de base et 2,6 milliards pour les régimes complémentaires (parmi ces derniers, l’ARRCO et l’AGIRC affichent un besoin de 3,7 milliards). Or, la crise privait les caisses de retraite d’environ 13 milliards de cotisations en 2011. Le COR estime que, si la législation restait constante, le retour à l’équilibre ne pourrait être atteint que vers 2040. Mais tout dépend du rythme de la croissance économique et de celui de la productivité. Or, les hypothèses du COR sont peu réalistes :
– ou bien la croissance de la productivité et celle de la production sont supposées croître entre 2 et 3 % par an en moyenne pendant près de 50 ans, ce qui correspondrait à une tendance qui ne s’est plus réalisée depuis la fin des Trente Glorieuses. De plus cela ignore les contraintes écologiques accrues empêchant d’envisager un tel objectif (une production multipliée par 3 d’ici 2060 !)
– ou bien la productivité et la production augmentent très faiblement et on ne voit pas bien comment le chômage pourrait régresser d’au moins 4 points sur cette longue phase d’un demi-siècle, surtout si aucune RTT n’intervient
– dans tous les cas, l’hypothèse de stabilité du temps de travail considère que les rapports de force entre les classes sociales ne se modifieront pas durant les cinquante prochaines années : le capitalisme néolibéral va durer.
Ces hypothèses économiques préparent la mise en condition des esprits pour mener une énième « réforme » des retraites (1).
Le gouvernement
derrière le Medef ?
Quelles sont les prémices de cette future réforme ? Le Medef a posé ses jalons en ouvrant une négociation avec les syndicats. Il propose que, à partir du 1er avril 2013 et au moins jusqu’en 2017, la valeur du point servant à calculer la pension complémentaire soit relevée de 1 point de pourcentage de moins que la hausse des prix. Les pensions de réversion passeraient de 60 à 56 % de la retraite complémentaire du conjoint décédé, et seraient attribuées à partir de 60 ans seulement, au lieu de 55 actuellement dans l’ARRCO. Les femmes déjà fortement discriminées au travail le seront encore davantage. De façon générale, il s’agirait donc de programmer la baisse du pouvoir d’achat des retraites complémentaires, en attendant de s’attaquer de la même manière aux retraites de base. En ce qui concerne les salariés actuellement actifs, le Medef préconise un recul de l’âge de la retraite complémentaire d’un trimestre par an à partir de 2019. On peut craindre que la mesure soit ensuite étendue aux régimes de base.
Le gouvernement, par la voix du ministre du budget, Jérôme Cahuzac, a approuvé la proposition de désindexer les pensions par rapport à l’inflation. Et, aussitôt, le cabinet du Premier ministre a laissé entendre qu’il fallait « faire payer les retraités ». Ainsi se met en place une pièce supplémentaire de la politique d’austérité. La baisse des pensions des actuels retraités, la détérioration des conditions d’emploi des salariés et le durcissement des conditions futures de leur accès à la retraite sont les moyens choisis par les gouvernements passés et l’actuel pour diminuer le poids des retraites dans la richesse produite. Si le gouvernement s’orientait vers une transformation du système par annuités de cotisations en un système par points, cela signifierait que l’ajustement serait obtenu par une baisse de la valeur du point, enlevant toute garantie au salarié du montant de sa future retraite, sauf s’il consentait à travailler beaucoup plus longtemps. Sans doute est-ce le but inavoué.
Modifier la répartition des revenus entre travail et capital
Pourtant, le COR a estimé la hausse des cotisations nécessaire pour d’assurer l’équilibre en moyenne sur 2012-2040 de 0,5 à 1,6 point de PIB. Pourquoi une hausse aussi faible n’incite-t-elle pas à réfléchir davantage à l’accompagnement des besoins sociaux par une hausse des cotisations ?
On touche le tabou le plus important du financement des retraites et, au-delà, de celui de toute la protection sociale. Les réformes passées ont écarté toute mesure qui aurait pu remettre en cause la répartition des revenus entre travail et capital imposée depuis l’avènement du capitalisme néolibéral. C’est donc sur ce point que doivent porter le débat public et l’action sociale et politique. Si l’on veut pérenniser et renforcer le système de retraite par répartition, il faut modifier la répartition primaire des revenus dans les entreprises afin de dégager des ressources supplémentaires pour les caisses de retraite au fur et à mesure des besoins de retraite.
Deux moyens sont possibles :
– augmenter le taux de cotisations dites patronales ;
– élargir l’assiette des cotisations à l’ensemble de la valeur ajoutée, c’est-à-dire la masse salariale plus les profits (ou tout au moins les profits distribués et non réinvestis), de manière à limiter l’avantage dont tirent parti les entreprises employant peu de travailleurs relativement à leur activité ou licenciant à tour de bras. Sur ce point, il convient de dépasser certaines préventions à l’égard de l’élargissement de l’assiette, qui ne rompt pas le lien entre travail et cotisations puisque la valeur ajoutée est en totalité le fruit du travail.
L’énormité du déplacement du curseur entre salaires et profits au détriment des premiers a été telle depuis les années 1980 qu’elle justifie ce supplément de cotisations, somme toute modeste : que sont 0,5 ou 1,6 point de PIB par rapport aux 5 à 6 points gagnés par le capital en trente ans ? La menace de perte de compétitivité n’est pas crédible devant l’exposé de ces chiffres, d’autant plus que cette modification peut très bien se faire à prix constants si un encadrement des profits est décidé.
Un choix politique fondamental
Au total, si le gouvernement annonçait réformer dans le bon sens les retraites tout en organisant la montée du chômage par l’austérité, cela relèverait de la quadrature du cercle. Faire comme si la croissance économique pouvait être élevée dans un monde contraint par la crise écologique relèverait de l’aveuglement. Tabler sur la seule modification de la répartition interne à la masse salariale inchangée globalement pour pensionner des retraités plus nombreux, ou bien sur une baisse directe des pensions, relèverait d’un choix de classe qui ne dit pas son nom. Après la ratification du pacte budgétaire, le pacte de compétitivité et celui sur l’emploi en faveur des entreprises, la non-réforme bancaire et l’abandon de la réforme fiscale tout en diminuant drastiquement les dépenses publiques, une nouvelle atteinte au droit à une retraite digne marquerait une étape de plus dans la stratégie mortifère consistant à rassurer les marchés financiers plutôt que mener une vraie politique sociale.
Les organisations syndicales, les associations, tout le mouvement social et les partis politiques qui n’ont pas abdiqué devant le capitalisme doivent se saisir de cet enjeu : les retraites, comme toute la protection sociale, constituent un choix de société. ●
Jean-Marie Harribey
1) Les rapports du COR sont disponibles sur http://www.cor-retraites.fr. Pour une présentation critique, voir le blog de J.M. Harribey http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey