Après l’ignoble meurtre de Clément Méric, il nous a paru nécessaire de revenir sur les groupes
dont sont membres les assassins. Parce que les développements de la crise comme les capitulations
des gauches européennes voient une croissance de ces groupes en Europe.
Nous donnons la parole au réseau de sensibilisations et de mobilisations syndicales VISA.
Certaines créations journalistiques, laissent parfois songeur, comme celui d’« extrême droite radicale » : on ignorait, jusque-là, qu’il existait aussi une extrême droite… modérée. Toujours est-il que la volonté de trouver une dénomination spécifique, pour désigner un milieu politique qui se situe au-delà des grandes formations « électoralistes » de l’extrême droite, est pertinente. En effet, il existe des composantes de l’extrême droite qui dépassent en agressivité, en violence verbale ou physique, en franchise idéologique les partis les plus connus du grand public, tels que le Front national en France ou ses équivalents dans d’autres pays européens. Leurs militants ne croient pas nécessaires ou ne souhaitent pas prendre les mêmes précautions oratoires qu’adoptent ces partis, dans le combat social et politique et face à l’opinion publique.
Aujourd’hui, certains des courants qui composent l’extrême droite française se sentent « orphelins », dans le sens qu’ils seraient insuffisamment représentés par le principal parti électoral de leur camp : le FN. A la différence de l’ère de Jean-Marie Le Pen, par exemple, les catholiques traditionalistes et intégristes se sentent sous-représentés dans ce parti et ses instances dirigeantes. La stratégie de modernisation et de « dédiabolisation » adoptée par Marine Le Pen, visant à « mordre » sur des nouveaux publics jusqu’ici plutôt réticents à voter FN (p.ex. l’électorat féminin), s’éloigne plutôt de leurs préoccupations idéologiques. D’où la mobilisation de plus en plus forte de ces milieux ultra-catholiques, sur des bases autonomes. Cela avait commencé avant l’épisode du « mariage pour tou-te-s », dès octobre 2011 où pendant des semaines, l’« Institut Civitas » avait manifesté à Paris contre deux pièces de théâtre jugés « blasphématoires ».
A l’évidence, l’opposition à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels a ouvert un nouvel espace politique à ce courant. On y trouve également des groupes ne venant pas de traditions politiques catholiques, mais plutôt « néo-païens » ou alors franchement pro-nazis. Pourtant le 26 mai, les « Jeunesses nationalistes » (JN) ont partagé le même parcours – séparé du reste de la manifestation – avec Civitas.
FN, Cathos-tradi, identitaires ou skin-néonazi …
Les JN, dirigées par Alexandre Gabriac (23 ans et élu FN plus jeune conseiller régional de France en 2010), ont été fondées en octobre 2011, suite à son exclusion du FN pour ses photos sur Facebook faisant le salut hitlérien. Les JN sont affiliées à l’Oeuvre française, créé en1968 par Pierre Sidos qui en a cédé la direction en 2012 à Yvan Benedetti lui aussi exclu du FN en 2011, entre autres pour avoir dit : « Je suis antisioniste, antisémite et anti-juif ».
Lors des manifestations du printemps 2013, les JN ont tenté d’apparaître comme la force la plus radicale par des occupations de locaux comme ceux du PS du Rhône, fin mars. Au point que d’autres courants les soupçonnent de jouer avant tout le jeu de la provocation médiatique. Lors de son arrestation fin mars 2013, suite à ces actions « musclées », Gabriac portait des microphones de « Canal + » sur lui. Un groupe spectaculaire donc mais qui ne dépasse pas les 100 membres et n’est pas le plus influent.
Sur un autre créneau idéologique, nous trouvons la mouvance identitaire (dont le noyau devrait regrouper 500 à 1000 militants), elle-même actuellement divisée sur des questions stratégiques. D’obédience plutôt néo-païenne que chrétienne, les Identitaires critiquent le nationalisme classique – dont celui du FN – pour son défaut d’enracinement, l’Etat-nation de type français étant à l’origine, pour eux, une création politique plutôt qu’un héritage « charnel » (terme beaucoup utilisé dans leur langage). Leur « philosophie » est résumée par la phrase suivante : « Un Malien peut se faire naturaliser et devenir Français, mais il ne sera jamais Alsacien, Breton ou Basque. » Ainsi, selon les Identitaires, il faut défendre à la fois les « identités régionales enracinées », la nation, mais aussi l’Europe (conçue comme entité de la « race blanche »), à la différence d’un parti plutôt nationaliste-hexagonal comme le FN. La mouvance identitaire a activement participé aux mobilisations contre le « mariage pour tou-te-s » qui ont donné lieu à une intense coopération entre l’extrême droite d’origine catholique et d’autres courants plutôt indifférents à la religion chrétienne.
La mouvance néonazie à dominante skinhead, en revanche, se situe plutôt sur un autre créneau. Elle avait connu son apogée dans les années 1980, mais son leader d’alors – Serge Ayoub dit « Batskin », en raison de ses affinités pour la batte de baseball – a réapparu ces dernières années en fondant « Le Local » à Paris 15e. Ce lieu a maintes fois servi de carrefour pour différents courants d’extrême droite. Marine Le Pen elle-même ayant participé, en 2008, à une réunion consacrée à la promotion du site Internet raciste « F de Souche ». Ayoub a continué, par ailleurs, de rassembler une garde prétorienne qui lui est totalement dévouée. Notamment les « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » (JNR) réanimées à partir de 2010, bras musclé du mini-parti « Troisième Voie ». Tout en disposant de son courant personnel dont il est le chef absolu et incontesté, Ayoub a cependant fait preuve « d’œcuménisme » en appelant à voter pour Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2012. Les coups mortels infligés par plusieurs de ses affidés au jeune antifasciste Clément Méric, le 5 juin à Paris, ont placé son mouvement sous le regard des projecteurs et d’une possible interdiction de « Troisième Voie » et des JNR.
L’exclusion pour seul credo
Aujourd’hui, l’extrême droite française est placée dans une nouvelle situation : le FN devenu totalement dominant en son sein (le groupe sectaire l’Oeuvre française avait même soutenu Jean-Marie Le Pen en 1996), a cédé un espace pour d’autres groupes. En effet, la stratégie de « dédiabolisation » liée à la montée de Marine Le Pen a été vivement contestée dans l’extrême droite. Plusieurs scissions ont eu lieu, donnant naissance à des mini-partis se voulant plus radicaux tels que la « Nouvelle Droite populaire » (NDP, créée en juin 2008) et le « Parti de France » (PdF, créé en février 2009), même si ces derniers sont aujourd’hui dans une impasse stratégique. Plus tard, le refus de Marine Le Pen de participer personnellement aux manifestations contre le « mariage pour tou-te-s » – surtout parce qu’elle pensait que les thèmes économiques et sociaux sont plus porteurs que les sujets « sociétaux » – a de nouveau, depuis l’hiver 2012/13, contribué à laisser une partie du terrain inoccupé par le FN.
Des expériences en Europe montrent que, dans une situation où un parti d’extrême droite dominant apparaît comme trop attaché à une logique électorale ou institutionnelle, il peut se faire « déborder » et même supplanter par plus radical que lui. C’est l’expérience du parti d’extrême droite LAOS en Grèce, suite à sa participation gouvernementale en 2012 à l’heure des plans d’austérité, même si le LAOS justifiait sa stratégie par le souhait de « sauver l’Etat ». Aux élections législatives successives de 2012, le LAOS a été laminé, alors qu’un parti ouvertement néonazi,
« Aube Dorée », auparavant doté de 0,1 % des voix, lui a ravi la place, obtenant 7 % des voix. Ce parti, prétendue alternative, met en scène avec succès « la peur qu’il inspirerait aux forces de l’establishment » par une stratégie de violence et d’intimidation. Il a depuis lors progressé au point que sondages lui promettent, aujourd’hui, des résultats à deux chiffres en cas de nouvelles élections.
Un danger mortel
pour le mouvement social
« Aube Dorée » en Grèce, le Jobbik hongrois et le NPD en Allemagne (ce dernier connaissant moins de succès électoraux) représentent un autre type d’extrême droite que les partis plus « électoralistes », au profil plus lissé, que tente d’adopter le FN français. Ce dernier fait face à un débordement durable sur sa droite, un risque pour lui au cas où il s’approcherait des « responsabilités gouvernementales » au plan local ou national. Si l’extrême droite est un phénomène politique hétérogène, le mouvement social doit être vigilant et actif car tous ces groupes – qui sortent renforcés de la dernière période – veulent résoudre la crise sociale en partant du constat qu’ « il n’y en a pas assez pour tout le monde », en refusant une autre répartition des richesses et en proposant d’appliquer des solutions discriminatoires : « préférence nationale » ou communautaire, chasse aux immigrés.
« Electoralistes » ou violentes, toutes ces variantes doivent être combattues politiquement avec détermination. Le mouvement syndical, avec l’ensemble des forces progressistes et démocratiques, doit faire de la lutte antifasciste un aspect permanent de son combat pour une transformation solidaire de la société. La mort de Clément Méric et les mobilisations qui ont suivi en montrent l’urgence et la possibilité. ●
VISA
(Vigilance initiatives
syndicales antifascistes)