Du point de vue du travail enseignant, les évaluations nationales et le LPC viennent renforcer les difficultés qui se sont accumulées ces dernières années, avec la succession effrénée et sans concertation des réformes du gouvernement Sarkozy. La mise en place de l’aide personnalisée avec le passage à la semaine de 4 jours, les nouveaux programmes et le socle commun de compétences, les fermetures de postes, les nouvelles modalités d’évaluation des enseignants… toutes ces mesures sont vécues comme injustes et très déstabilisantes par les professionnels. Elles ont entraîné une modification de leurs missions, un alourdissement de leur charge de travail notamment administrative, une intensification du rythme d’enseignement, sans compter le sentiment de perte de sens lié à l’incohérence de certains outils ou dispositifs imposés…
L’enquête menée auprès de la profession par le SNUipp dans le cadre de son « chantier travail » (action recherche sur les évolutions du travail enseignant) montre en effet un ras le bol généralisé doublé d’une incompréhension : « La demande institutionnelle est forte : des exigences de traces écrites de plus en plus pointilleuses, des livrets scolaires que l’on ne digère plus tellement ils sont alourdis chaque année (livret de compétences, socle commun, B2I, APER, etc…) On n’en peut plus !! ». Ou encore : « Je ne comprends plus les demandes institutionnelles (livret de compétences par exemple, évaluations nationales, programmes trop ambitieux pour CE1…). C’est trop de travail qui ne sert pas directement les enfants, trop de paperasses, nous n’avons plus de temps pour préparer la classe ».
Le LPC cristallise à lui seul tous ces écueils. Sur le plan pédagogique, le concept d’évaluation des compétences est loin d’être opératoire. Comment évaluer un objet dont la définition pose déjà problème ? Il existe quasiment autant de définitions que de chercheurs qui s’expriment sur la question ! Les références multiples avec lesquelles doivent composer les enseignants complexifient leur tâche. Pour Marcel Crahay, « il faut que l’enseignant apprenne à jongler avec les connaissances déclaratives, procédurales et même conditionnelles (ou stratégiques), sans oublier les processus méta-cognitifs, avant de s’interroger sur les rapprochements à faire avec les notions de savoirs, savoir-faire, savoir-être, attitudes, habiletés, capacités, schémas opératoires, représentation du problème, schèmes, habitus, etc. Or, paradoxe extrême, la notion de compétence prétend fédérer tout cet arsenal théorique en un unique concept.
Sur le plan de la charge de travail, remplir le LPC prend un temps fou (46 items en CE1 et 110 en CM2). D’autant qu’il vient s’ajouter aux outils d’évaluation élaborés antérieurement par les équipes ou à l’échelle des circonscriptions, contraignant les enseignants à un double remplissage ou à balayer d’un revers de main les outils professionnels qu’ils s’étaient conçus ou appropriés. Plus encore qu’une perte insensée de temps, c’est une négation de leur professionnalité. Imposer des outils standardisés pour tous sans prendre en compte l’avis des professionnels sur la complexité et la diversité des situations sur le terrain, c’est rompre avec la vision d’enseignants concepteurs de leur travail, c’est entrer dans une logique d’exécutants, de formatage.
Sur le plan des missions et du sens donné au travail, les enseignants dénoncent massivement une dérive administrative du métier. La multiplication des évaluations, parfois dans le seul but de pouvoir remplir des cases, donne souvent la sensation de passer plus de temps à évaluer qu’à travailler sur les apprentissages.
La définition de l’objet « évaluationite » usine à cases pose de nombreuses questions : comment évaluer, quand valider, que valider, surcharge de travail, lien avec les programmes, que faut-il enseigner ?… Autant de questions qui font du LPC un lourd problème, en aucun cas une solution.