Interview de Pierre Clément
Chercheur au Centre de Sociologie des Organisations – CNRS et à l’institut de recherche de la FSU. Dans sa thèse soutenue en 2013, il explore les enjeux du socle et leurs rapports aux programmes.
**◗ école émancipée : Comment le socle a-t-il été articulé aux programmes ?
Conformément au décret selon lequel « les programmes […] sont adaptés [en fonction du socle] par arrêté du ministre de l’Éducation nationale »[[Décret n°2006-830 du 11 juillet 2006 relatif au socle commun de connaissances et de compétences et modifiant le code de l’éducation.]], G. de Robien a installé dès octobre 2006 sept groupes de travail correspondant aux piliers du socle, ainsi qu’un comité de pilotage.
Les nouveaux programmes du collège dans les disciplines scientifiques, élaborés en 2007, sont ceux qui se rapprochent le plus de la logique du socle.
Il y est décrit en quoi chacune de ces disciplines peut servir des compétences transversales. En mathématiques et en physique, le choix a été fait d’une écriture distinguant du reste des programmes ce qui relève du socle, qui peut donc être entendu comme le cœur des programmes.
Les rédacteurs se sont aussi efforcés de promouvoir une conception délaissant une approche trop scientifique au profit de savoirs plus concrets et proches des élèves : « au niveau des exigibles […], toute technicité est exclue, puisque – dans l’esprit général du socle – on se limite à des problèmes simples, proches de la vie courante »[[Programmes de mathématiques du collège.
Arrêté du 6 avril 2007 et BO, HS nº 6 du 19/04/07.]].
Les programmes relevant des humanités apparaissent au contraire peu affectés par ces principes : leur cœur n’y est pas distingué du reste, les objectifs généraux ne sont que peu explicités, la transversalité est quasiment absente, les capacités sont développées sur un mode disciplinaire et les attitudes passent à la trappe.
Dans son rapport sur le collège de 2010, le Haut Conseil de l’Education l’a déploré, évoquant des : « […] programmes conçus dans la seule perspective du lycée et des études supérieures »[[HCE, Le collège. Bilan des résultats de l’école, 2010, p. 30-31.]].
Les nouveaux programmes de l’école primaire arrêtés par X. Darcos en 2008 ont beaucoup plus fait parler d’eux, introduisant une rupture par rapport aux précédents.
Ils consacrent une restriction très nette du champ des savoirs au profit des savoirs de base, présentés de manière disciplinaire. La mise en œuvre du socle s’inscrit donc dans un « retour aux fondamentaux ».
**◗ éé : Quelles conséquences à l’introduction du socle sur les pratiques enseignantes, la réussite des élèves et sur l’organisation du système éducatif ?
La transposition du socle dans les programmes s’est surtout traduite par la mise en place du livret personnel de compétences, des évaluations nationales de CE1 et CM2 et des programmes personnalisés de réussite éducative, instruments indissociablement pédagogiques et technocratiques.
Ainsi, le socle est loin d’être le vecteur de transformation des pratiques pédagogiques dans le sens de l’éducation nouvelle et de l’approche par compétences qu’espéraient ses défenseurs.
Quant aux dispositifs prévus pour les élèves en difficulté dans l’acquisition du socle, le HCE a pointé le risque qu’ils se transforment en « filières de relégation »[[HCE, Mise en œuvre du socle commun. Bilan des résultats de l’école, 2011, p. 22.]].
C’est donc une hybridation originale de néoconservatisme scolaire, via le retour aux fondamentaux, et d’esprit gestionnaire, via l’introduction des compétences et de leur évaluation qui s’est imposée.
**◗ éé : Le mot « culture » dans le titre change-t-il la logique du socle ?
En annonçant une sorte de moratoire sur les évaluations nationales, sur le LPC et en modifiant la dénomination du socle, V. Peillon a voulu faire un geste politique d’apaisement.
Cela étant, il a réaffirmé que le socle constitue bien le « cadre de référence de la scolarité obligatoire »[[V. Peillon et G. Pau-Langevin,
« Lettre à tous les personnels de l’Éducation nationale », 22/06/12.]].
Il me semble que le socle est aujourd’hui tellement lié à une vision managériale du système éducatif qu’il serait bon d’y renoncer, pour ensuite reposer les questions qui sont en arrière-plan et qui restent pertinentes : qu’est-ce les élèves doivent avoir acquis à l’issue de la scolarité obligatoire ?
Comment on évalue ces acquis ? ●
Propos recueillis par Mary David et Marie Haye