Il paraît qu’on appelle « saison brune » aux Etats-Unis ce moment particulier de l’année où l’on sent que l’hiver s’achève parce que les glaces ont déjà commencé à fondre alors qu’il continue encore à faire froid
et qu’on ne peut pas déjà prétendre être au printemps. De même, nous vivons dans une période d’entre-deux :
le changement climatique que l’on nous annonce n’est perceptible qu’à quelques signes plus ou moins épars
et lointains et pourtant, c’est un processus déjà enclenché et irréversible.
Philippe Squarzoni a décidé de relever le défi de présenter ce phénomène complexe en bandes dessinées. Et pourquoi pas après tout ? La BD peut être un support très pédagogique. Le dessin permet toutes les illustrations et mises en scènes possibles. La seule difficulté est de trouver le bon dosage entre image et texte. On peut dire que Philippe Squarzoni l’a trouvé. Certes, il faut parfois densifier l’écrit et alors il recourt à la parole de spécialistes que l’on voit discourir comme s’ils étaient face à une caméra. Mais ces séquences sont toujours entrecoupées de réflexions plus générales, de remarques plus personnelles où la parole se distend, portée par une image forte, souvent décalée, parfois carrément surréaliste comme une ponctuation métaphorique. C’est là que peuvent s’intercaler des images de publicités détournées (ou pas), de films célèbres, autant de références propres à l’auteur qui font de ce livre, non pas un simple documentaire, mais aussi un récit personnel, intime, voire poétique.
Une œuvre personnelle
Car l’auteur n’hésite pas à se mettre lui-même en scène, relatant son propre cheminement, la genèse du livre ainsi que ses recherches. Celles-ci lui donnent l’occasion de citer ses sources et présenter les livres qu’il a lus comme autant d’invitation à aller y voir par soi-même.
Il rend aussi compte d’interrogations plus intimes et inévitables, du genre « puis-je accepter de répondre à une invitation de deux semaines au Laos alors que je travaille à un livre sur le réchauffement climatique » ? Au-delà de la question de la responsabilité individuelle de chacun, il pointe la schizophrénie de toute une société dont le mode de vie doit être entièrement repensée. Car, en aucune façon, les problèmes que posent le réchauffement climatique et les moyens de le limiter ne relèvent de l’individu. Ce défi auquel l’humanité doit faire face implique une réponse forcément collective. Il nécessite de rompre avec l’idéologie libérale qui assimile la liberté au consumérisme et au refus de rendre des comptes.
Un livre essentiel
Le livre rend compte méthodiquement des causes du réchauffement, s’attardant sur les différents gaz à effets de serre, pesant leur importance relative dans le phénomène, l’évolution de leur prégnance dans l’atmosphère. Les conséquences sont ensuite rigoureusement évoquées : fonte des glaces, montée des eaux, recul des terres cultivables, biodiversité menacée. Le constat est très alarmiste : le réchauffement climatique est inéluctable. Il ne s’agit déjà plus que d’en limiter la portée en dessous d’un seuil (2 à 3 degrés supplémentaires de la température moyenne planétaire) au-delà duquel l’emballement est possible, voire probable. L’impact du réchauffement sur les sociétés humaines est bien sûr évoqué. Il ne fera que renforcer les inégalités, notamment géopolitiques. Pour résumer brutalement : ce sont les pays pauvres qui paieront le plus lourd tribut à une crise provoquée par le mode de vie des pays riches. Les quelques pages consacrées à la catastrophe provoquée par l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans en 2005 sont emblématiques. La gestion de la crise par les autorités américaines, le sort réservé aux principales victimes, les plus pauvres, font froid dans le dos. Elles préfigurent un avenir que l’on peut encore éviter.
La seule option possible est la réduction de la consommation énergétique. Les alternatives existent. Elle nécessitent un changement radical de mode de vie et donc, une prise de conscience massive.
Gageons que ce livre y contribue de manière originale et accessible. Souhaitons-lui une diffusion massive y compris auprès des lycéens.
Stéphane Moulain