Le cinéma latino-américain était à l’honneur lors du dernier festival de Cannes, avec de nombreux films présentés en compétition officielle, et dans les sélections Un certain regard, Cinéfondation, Semaine de la critique et Quinzaine des réalisateurs. D’ailleurs, un débat organisé par la Quinzaine, portait sur « les nouveaux noms du cinéma latino américain ».
Longs et courts métrages, films de fiction et documentaires, drames et comédies, films musicaux et road- movies : plus aucun genre n’échappe désormais au talent des cinéastes d’Amérique Latine, où des politiques culturelles de plus en plus dynamiques encouragent les jeunes auteurs, lèvent des obstacles à la production et commencent à valoriser les cinémas nationaux.
On peut donc se réjouir non seulement de cette présence importante à Cannes mais aussi des prix reçus par les mexicains Carlos Reygadas (meilleure mise en scène pour Post tenebras lux en sélection officielle), et Michel Franco (prix Un Certain Regard pour Después de Lucía), ou encore par l’argentin Alejandro Fadel (soutien à la distribution de la Semaine de la Critique pour Los salvajes) et la brésilienne Juliana Rojas ( Mention spéciale de la Semaine de la Critique et prix Nikon pour O duplo).
Mais c’est la quinzaine des réalisateurs qui a fait la part la plus belle à ce cinéma en présentant La noche de enfrente, dernier film de Raúl Ruiz ainsi que 3 courts métrages et 5 longs métrages venus d’Argentine, Brésil, Chili, Colombie et Uruguay et en attribuant au chilien Pablo Larraín le prix très mérité du Cinéma d’Art et d’Essai.
Trois longs métrages de la Quinzaine ont été présentés lors d’une reprise de cette sélection dans un cinéma alternatif des quartiers Nord de Marseille : l’occasion de faire découvrir à un public populaire un cinéma venu d’ailleurs et une réalité souvent méconnue. Trois films qui, dans des genres différents, nous parlent des blessures infligées aux peuples et des luttes infatigables pour la libération. On est bien loin du nombrilisme et de la futilité de certaines productions françaises.
La Sirga (Colombie, William Vega)
Cette première œuvre d’un jeune cinéaste qui a déjà contribué comme scénariste et assistant réalisateur à plusieurs films ou téléfilms colombiens, a reçu le Prix Cinéma en Construction lors du dernier festival de ciné latino-américain de Toulouse avant d’être présenté à Cannes. La Sirga nous parle avec une grande douceur de la violence dont est victime le peuple paysan colombien prisonnier du conflit entre paramilitaires, narcotrafiquants et guérilla.
Le beau personnage d’Alicia illustre à la fois l’impuissance face à cette violence et la dignité qui permet de survivre.
Fuyant le conflit armé dans lequel elle a perdu ses êtres chers, elle se réfugie à La Sirga, une auberge brinquebalante située sur les rives d’un lac des Andes, et qui appartient à Oscar, bougon et solitaire, son unique parent encore en vie.
Dans ce paysage perdu dans les brumes, elle cherche à reprendre racines et se reconstruit doucement. Elle commence à se sentir en sécurité jusqu’à ce que ses peurs et la menace de la guerre la rattrapent. Une guerre qui n’est que suggérée : un fusil au fond d’une barque, une fenêtre où on devine un impact de balle, des arbres parmi lesquels on aperçoit la silhouette d’un corps empalé, un cousin mystérieux dont le retour inquiète…
Des acteurs inconnus ou non professionnels, des plans d’une grande beauté, un rythme lent et contemplatif comme la vie qui renaît, des personnages qui passent de l’indifférence hostile à la solidarité pudique…
« J’ai fait le pari d’avoir un personnage principal porté par le vide.
Alicia est silencieuse, quasiment mutique.
Je lui ai donné une certaine force apparente car j’ai tenu à ne pas la victimiser.
Le sort d’Alicia est le résultat de la barbarie des hommes. Sa maison a été rasée tout comme son village. Alicia est un personnage détruit mais cette destruction demeure abstraite.
J’ai délibérément mis de côté les artefacts de la guerre. Le film ne prend pas parti. Il est comme Alicia, au milieu de nulle part… »
« Cette auberge, c’est une métaphore de la Colombie. Le toit est abîmé, les murs sont fragiles.
Les personnages, la maison, le village, le pays vivent dans une situation précaire, transitoire. »
Entretien avec le réalisateur :
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Infancia clandestina (Argentine, Benjamin Ávila)
Benjamin Ávila est un jeune producteur pour la télévision éducative argentine, auteur de scénarios, réalisateur de courts métrages et du documentaire Nietos sur les enfants des disparus. Infancia clandestina est son premier long métrage de fiction. Luís Puenzo, le célèbre réalisateur de Historia oficial (1985) en est l’un des producteurs. Le scénario a reçu le prix Coral du scénario inédit au Festival de La Havane de 2009. Infancia Clandestina fait partie de ces films qui, comme Kamtchatka (Marcelo Piñeyro, Argentine, 2002), Machuca (Andrés Wood, Chili, 2004) ou Postales de Leningrado (Mariana Rondón, Venezuela, 2007) présentent les dictatures et la lutte politique à travers le regard d’un enfant.
En 1979, Juan, 12 ans, et sa famille reviennent à Buenos Aires sous une fausse identité après trois ans d’exil. Les parents et l’oncle de Juan sont membres des Montoneros et luttent contre la junte militaire au pouvoir. Pour tous ses amis à l’école, Juan se prénomme Ernesto. Il ne doit surtout pas l’oublier, le moindre écart peut être fatal à toute sa famille.
Véritable thriller politique doublé d’une chronique de la magie de l’enfance, ce film a été inspiré à Benjamin Ávila par sa propre histoire. « Mais je ne voulais pas d’un film autobiographique ; je voulais me servir de ce que j’avais vécu pour revisiter l’histoire de la dictature argentine de mon point de vue d’enfant, raconter une histoire d’amour entre gamins et parler ainsi du militantisme de cette époque où la peur côtoyait la joie, l’amour et la passion ».
Le film nous plonge dans la double vie de Juan / Ernesto. Celle de Juan, où l’amour familial est très fort mais où l’enfant doit assumer l’engagement et la lutte de ses parents, avec tout le danger de la répression qui plane.
Celle d’Ernesto où l’enfant va à l’école, fête son anniversaire avec ses copains et tombe amoureux.
Une enfance clandestine difficile à assumer et souvent inacceptable pour ce gamin animé de sentiments contradictoires. Ainsi, l’approche de l’Histoire à hauteur d’enfant donne à ce film une simplicité et une émotion qui tiennent le spectateur en haleine et lui font vivre de l’intérieur cette sombre période de l’Argentine.
No (Chili, Pablo Larraín)
Ce film, qui reprend la trame d’une pièce de théatre de Antonio Skármeta, a déclenché l’enthousiasme du public cannois et, fait rare pour un film latinoaméricain, les distributeurs se l’arrachent ! C’est le troisième volet d’une trilogie que les frères Larraín – Juan à la production et Pablo à la réalisation – ont consacrée aux années Pinochet : les deux premiers films, pourtant percutants et ambitieux, (Tony Manero, 2008 et Santiago 1973 post Mortem, 2010) ont eu du mal à trouver leur public sans doute parce qu’ils baignaient dans une ambiance étouffante, bien caractéristique de l’époque décrite. Gageons qu’il n’en ira pas de même pour le jubilatoire No, un film où le monde de la politique et celui du spectacle cohabitent, et qui montre brillamment qu’un sujet grave peut être traité avec un humour mordant et un rythme trépidant.
Lorsqu’Augusto Pinochet, face à la pression internationale, consent à un référendum sur sa présidence en 1988, pour la première fois depuis le coup d’état, les partis d’opposition vont pouvoir s’exprimer dans une série de spots télévisés. Regroupés dans la Concertación de partidos por el No, ils persuadent René Saavedra, brillant publicitaire interprété par un Gael García Bernal époustouflant, de monter leur campagne. Avec peu de moyens et sous la surveillance constante des hommes de
Pinochet, cet as du marketing va trouver le moyen de transformer la soif de démocratie en un produit vendeur.
Il rejette l’évocation douloureuse du passé et axe toute la campagne sur le rêve, l’espoir, la joie, l’optimisme.
D’ailleurs le slogan en chanson – authentique- est « ¡ Chile, la alegría ya viene ! ».
Comme dans ses autres films, Pablo Larraín reconstitue fidèlement l’époque. Il fait le choix judicieux et original de filmer à la manière d’une vidéo des années 80 : contre-jour, couleur et contour baveux, image entachée de grains et d’impuretés.
Il utilise une caméra d’époque afin de raccorder au mieux avec les images d’archives et les vrais spots de la campagne pour le non dont est émaillé le film. Il fait le choix d’une caméra très mobile, métaphore de la remise en mouvement d’un pays.
On rit beaucoup. Pourtant la tension est palpable et le spectateur tremble souvent pour des personnages qui risquent à tout moment d’être victimes des sbires du régime… jusqu’à la victoire tant espérée du No et la libération de l’oppression.
Cathy Ferré, GD 13, membre du bureau national de France Amérique latine