Avec 6,4 millions de voix soit 17,90%
des suffrages exprimés,
Marine Le Pen est parvenue
à se hisser à la 3eme place
du scrutin présidentiel.
Elle engrange 900 000 voix de plus
que son père dix ans plus tard
et semble clore la parenthèse
du « siphonnage » réalisé par Sarkozy
en 2007. Nous examinons ici
les déterminants de ce vote.
Géographiquement, l’électorat frontiste quitte les grandes villes et chute dans les banlieues ouvrières pour progresser dans les villes péri-urbaines et l’ensemble des départements ruraux. Réparti jusque là à l’est d’une ligne Le Havre/Valence/Perpignan, il s’étale désormais sur tout le territoire et apparaît de façon significative dans des départements encore épargnés : le Cantal, la Dordogne, les Landes, en Charente… Les hypothèses qui expliqueraient ce changement par un basculement de cet électorat au profit de la gauche -et notamment du FdG- sont cependant à prendre avec des pincettes : un déplacement sociologique villes et proches banlieues devenant trop chères- semblerait en effet plus conforme à la réalité(1)… Il n’en demeure pas moins que plus le tissu militant, qu’il soit politique, syndical ou associatif, est solide et plus le FN peine. Autre nouveauté : près de 18% des femmes soit autant que les hommes ont voté à l’extrême-droite. Un verrou est donc en train de céder… à l’instar du vote des 18-24 ans ou des 25-39 ans. La jeunesse emmerde de moins en moins le FN…
Pas le fruit du hasard
Cette fracassante entrée de la nouvelle présidente du Front dans la campagne présidentielle n’est pas le fruit du hasard.
Primo, elle a enchaîné 3 campagnes acharnées : en interne pour s’imposer à la tête du parti, puis une campagne présidentielle de terrain qui l’a vue multiplier les meeting, une campagne législative enfin qui s’est poursuivie sur le même rythme avec une focalisation sur Hénin Beaumont.
Ensuite, les thèmes qu’elle a mis en avant se sont imposés aux autres candidat-e-s et ont constitué autant de buzz médiatiques. En proposant de sortir de l’euro et « en refusant de payer pour les Grecs, les Espagnols »(2)…, Marine Le Pen apparaît comme volontaire face à l’impuissance affichée de l’ « UMPS » et s’autoproclame donc « candidate anti-système ».
Elle connaît par ailleurs bien son électorat, en grande partie rural comme nous l’avons vu. Victime de la casse des services publics (poste, hôpitaux, écoles…), celui-ci est contraint de prendre sa voiture pour effectuer le moindre déplacement. Sa proposition visant à réduire la taxe sur l’essence (TIPP) de 20% a donc toutes les chances de séduire dans nos campagnes. Jamais avare en poncifs, elle en profite au passage pour flatter ces Français « invisibles » qu’elle oppose aux bobos parisiens…
Elle tire ensuite parti du bilan catastrophique de Sarkozy qui non content de s’afficher comme « le président des riches » n’a eu de cesse de banaliser les propositions racistes et sécuritaires tout au long de son mandat. Elle brouille les cartes en prétendant défendre les droits des femmes, des homosexuel-le-s (…) face à un islam qui « mettrait en péril nos modes de vie, notre laïcité… nos piscines et nos cantines » !
Tout ceci s’inscrit enfin dans un paysage européen3 qui voit prospérer les partis de droites extrêmes et qui, avec des histoires différentes, jouent des cartes similaires : Schengen, croisades contre l’islam, refus de payer pour « ces fainéants » du sud de l’Europe, euro, protectionnisme…
Incontournables ?
Marine Le Pen peut donc s’estimer heureuse : une 3e place à la présidentielle, une campagne dans laquelle elle a imposé ses thèmes, un renouvellement générationnel -et qui plus est paritaire !- 61 candidat-e-s qualifiés au second tour des législatives, un retour à l’Assemblée nationale pour son parti… et surtout une UMP qui sort extrêmement affaiblie et divisée de la séquence électorale. En traçant un trait d’égalité entre PS et FN, Jean-François Copé donne un sérieux coup d’accélérateur à la banalisation du parti d’extrême-droite. Le rassemblement “bleu marine” risque d’apparaître incontournable à beaucoup d’élu-e-s de droite dans les années à venir. Et le cordon sanitaire jusque là en vigueur entre les deux partis est en train de voler en éclat. Le 1er mai 2012, M. Longuet alors ministre accordait une interview à Minute dans laquelle il annonçait avoir trouvé en Marine Le Pen une interlocutrice avec qui « il sera désormais possible de parler de sujets difficiles ». Allez… Gérard, toi fondateur d’Occident… Une éternelle jeunesse… Ça ne devrait pas vous causer trop de Pen !
Clara Wood
1) Cf « Marine Le Pen a déjoué les statistiques. Analyse avec Jérôme Fourquet »,
Le Point, 27 avril 2012.
2) Ces propositions furent très inspirées
par celles du « Parti des vrais Finlandais »
3) Cf « Dérives extrêmes sur le vieux continent »,
C. Wood, mars 2011, disponible sur le site
de l’École Émancipée.