Les éleveurs sont en colère. Et il y a des raisons : revenus trop faibles, trop variables, conditions de travail trop dures…
Mais on ne répond pas aux problèmes de fond : libéralisme et productivisme mènent l’agriculture dans l’impasse et empêchent les agricultures alternatives, écologiques et sociales,
de se développer.
Les éleveurs subissent tout d’abord la dérégulation des marchés agricoles : de tous temps, la plupart des grands pays producteurs agricoles ont considéré que les prix agricoles devaient être stabilisés, pour garantir la sécurité alimentaire.
Mais à partir des années 1990, l’idéologie néolibérale s’est imposée et cette politique de garantie des prix a été progressivement démantelée, pour faire place à des aides fixes versées par hectare quel que soit l’état des marchés.
Résultat : les éleveurs subissent des prix qui peuvent varier du double au simple en très peu de temps.
De plus, les entreprises agroalimentaires et la grande distribution imposent des prix de plus en plus faibles aux éleveurs et un modèle productiviste qui pousse à l’endettement des exploitations agricoles, à leur concentration ainsi qu’à des surproductions régulières.
**Le pouvoir grandissant de multinationales
Des multinationales agro-alimentaires contrôlent l’essentiel du marché ( Bigard, Chiquita, Dole, Del Monte, Tate and Lyle, Cargill, Louis Dreyfuss, ADM, Barry-Callebaut …).
Elles accaparent également peu à peu la production agricole et se lancent dans des fermes géantes.
À leurs côtés, quelques autres multinationales se sont appropriées le maillon suivant de la chaîne alimentaire, la distribution : Wal-Mart, Carrefour, Ahold, Kroger ou encore Métro. En France, vous les connaissez : Carrefour, Leclerc, Casino, Intermarché, Auchan et Système U.
Les multinationales ont déjà mis la main sur l’essentiel de la transformation, de la distribution et du négoce.
Il en est de même de la fourniture en pesticides et engrais et de la production agricole. Elles détiennent un pouvoir déterminant sur la qualité des aliments, leurs échanges, leurs prix, sur les façons de les produire et de les consommer.
Elles accaparent toujours davantage une grande partie de la valeur créée, pour nourrir les profits des actionnaires. Elles contrôlent enfin un maillon essentiel de la chaîne alimentaire : les semences et avec elles, le contrôle du travail de sélection et d’amélioration des plantes.
**Le productivisme promu par l’agrobusiness
De grands investisseurs financiers, des multinationales ont fait de l’agriculture et de l’alimentation de nouvelles sources de profits.
Ils promeuvent un modèle d’agriculture productiviste, ponctionnant toujours plus de ressources naturelles et fossiles et détruisant l’emploi.
Ainsi en est-il de la « ferme des 1 000 vaches », en réalité 1 750 bovins. Le digestat, issu des déjections, non intégrées par le méthaniseur, risque de polluer les nappes phréatiques et sa production importante se concentre au même endroit, si bien qu’il faudra transporter le digestat sur des distances importantes.
D’où une consommation de carburants et une surcharge des routes, avec leurs coûts écologiques, les risques d’accidents, les nuisances sonores…
Le robot de traite et la taille de l’élevage empêcheront tout pâturage des vaches, qui seront parquées toute l’année dans les bâtiments.
Les médicaments, antibiotiques, antiparasitaires, vaccins et sérums devront être utilisés abondamment car il faudra parer à des risques d’épidémie plus importants, dans cet immense élevage confiné.
Ces façons de produire impliquent donc de forts coûts d’investissement et de fonctionnement par litre de lait produit. Pour rentabiliser l’affaire, elles nécessitent de produire le plus possible par vache et par travailleur, au détriment de l’emploi, de l’environnement, des conditions sanitaires et du bien-être animal.
Dans la « ferme des 1000 vaches », la production de 8 millions de litres fera vivre 18 salarié-es : la production de la ferme usine sera trois fois moins créatrice d’emplois que la moyenne des exploitations laitières françaises.
L’accaparement des 3000 hectares fera pression sur le marché foncier et empêchera des jeunes de s’installer.
Quant aux nouveaux volumes de lait, qui pourront se vendre à faible prix si le méthaniseur est assez rentable, ils viendront engorger un peu plus les marchés et pressurer les prix vers le bas.
Tout cela avec des centaines de milliers d’euros de la Politique Agricole Commune, versés en aides directes sur les milliers d’hectares agricoles concernés.
**Des alternatives existent !
L’agrobusiness n’est pas une fatalité. Retours aux circuits courts et au bio, signes de qualité, luttes contre les expropriations des paysans et réappropriation collective des terres, contre la brevetabilité des semences et contre les OGM ou forums pour la souveraineté alimentaire : les luttes et pratiques locales se multiplient, du Sud au Nord, comme autant d’alternatives concrètes à l’agro-business et à la mainmise des marchés.
En élevage, de nombreuses études montrent que des systèmes de production peuvent à la fois mieux respecter l’environnement, maintenir l’emploi agricole et créer plus de valeur ajoutée.
Pour que ces alternatives −marginales− puissent servir à transformer l’ensemble de nos façons de produire, de consommer et d’échanger, il faut qu’elles s’accompagnent de politiques en leur faveur.
Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. ●
Aurélie Trouvé, auteure du livre
« Le business est dans le pré.
Les dérives de l’agroindustrie »
(2015, chez Fayard).