La nomination de Blanquer au ministère de l’éducation nationale n’augurait rien de bon pour les personnels et les usagers, vu son parcours dans ce ministère. Les dernières annonces confirment ce pronostic, en particulier pour ce qui concerne le baccalauréat, et l’accès au supérieur. Quand un ministre déclare que « le discours égalitariste est destructeur » (interview à l’Obs), tous les tenants d’une école démocratique (dont nous sommes) doivent se méfier, pour le moins.
Les objectifs du gouvernement sont clairs : face à l’afflux de nouveaux étudiants lié au baby boom des années 2000 (de 20000 à 40000 chaque année), il n’est pas question de renforcer les capacités d’accueil des universités, ce qui nécessiterait la création de postes d’enseignants-chercheurs et la construction de bâtiments nouveaux. Il s’agit donc de profiter de cette surpopulation pour mettre en place la sélection à l’université et donc en finir avec le bac conçu comme premier grade universitaire. Des « discussions » vont donc avoir lieu cet automne sur tous ces sujets : outre la réforme du bac, on parlera de la procédure APB, qui laisse encore sans affectation 6000 bacheliers début septembre, auxquels il faut ajouter des dizaines de milliers mal-affectés, et la mise en place de pré-requis à l’entrée de l’université.
Le bac clef de voûte du système éducatif
Contrairement à ce que voudrait faire croire Blanquer, le bac n’a pas qu’une valeur « symbolique » de rite de passage. Il est la clef de voûte du système éducatif français car c’est toujours l’aval qui commande l’amont : le caractère national de l’examen impose de conserver en amont un caractère national aux séries, aux contenus enseignés et au niveau exigé. Ainsi il certifie que, sur l’ensemble du territoire, tous les lauréat-e-s disposent d’un bagage culturel de niveau secondaire propre à les faire entrer dans le supérieur. Ceci explique que de plus en plus de pays européens qui avaient des examens de fin de secondaire différents d’une région à l’autre, soient en train de les « nationaliser » sur le modèle français. Comme, de plus, le bac est conçu depuis l’origine comme le premier grade universitaire, il ouvre droit à la poursuite d’études sans autre condition que l’obtention de l’examen, quelles que soient la voie (générale, technologique ou professionnelle) et la série (L, ES, S, STMG etc.) dans lesquelles il a été obtenu. En cela il est la charnière entre le 2nd degré et l’enseignement supérieur. En somme, toucher le bac c’est toucher l’ensemble de l’édifice.
Inutile et cher : le bac accusé de tous les maux
Il est souvent reproché au bac de ne plus avoir de valeur au prétexte que tous les élèves l’auraient (alors que près de 30% d’une classe d’âge ne l’a toujours pas), que le niveau baisse vu qu’« on le donne à tout le monde » ou encore qu’il serait « illisible ». Trop long, trop lourd, trop cher et inutile… le bac a tous les défauts !
En réalité le bac est surtout malmené, et avec lui les élèves, et les enseignant-es. Alors que le lycée était censé « reconquérir le mois de juin », c’est désormais le mois de mai qui est percuté par de multiples épreuves (langues, épreuves pratiques ou de projet…), dans des conditions de passation et de rémunération des enseignants variables d’un lycée à l’autre. Durant cette période, il est difficile de faire cours devant une classe complète, les élèves étant amenés à sortir de cours pour passer leur épreuve. Pour les épreuves terminales passées à partir de mi-juin, les délais de correction sont souvent insuffisants et le nombre de copies trop important. Il faut ajouter les pressions des IPR pour remonter les notes, la notation « par curseur » qui ne laisse aucune initiative aux correcteurs, etc. Le décalage entre les ambitions affichées des programmes et la réalité de ce que peut produire un vrai élève du secondaire donne dans certaines disciplines un sentiment d’épreuves artificielles voire absurdes, quand d’autres disciplines se plaignent au contraire de sujets trop faciles.
Les enjeux d’une réforme
Le discours catastrophiste sur le bac vise à légitimer l’idée de le réformer, à défaut de pouvoir le supprimer vu le symbole qu’il représente encore pour la population. Si on ne connaît pas encore les intentions exactes de Blanquer il est question d’augmenter la proportion de contrôle continu (c’est pratique, ça ne coûte rien) et de réduire le nombre d’épreuves terminales dans chaque série. Le contrôle continu est une rupture d’égalité de traitement entre les candidat-e-s dont l’anonymat des épreuves terminales est le meilleur garant. C’est aussi la porte ouverte vers des bacs de contenu et de valeur variables d’un établissement à l’autre car la tentation est grande de valoriser ses propres élèves, son propre travail, sans parler des pressions possibles des familles sur la notation.1 Opter pour ce modèle permettrait d’une part de déverrouiller la sortie du secondaire pour tous les élèves, et ils sont nombreux, en difficulté au lycée qui n’obtiennent pas le bac2, d’autre part de justifier que l’enseignement supérieur organise ses propres examens d’entrée puisque le bac n’aurait plus guère de valeur certificative.
Le bac, et après ?
La ministre de l’enseignement supérieur prend appui sur les 60% d’échec en licence pour justifier la mise en place de pré-requis à l’entrée dans le supérieur. Rappelons que ce taux d’échec a peu varié depuis les années 60 (où moins de 20% d’une classe d’âge obtenait le bac, contre 77% aujourd’hui). Ce n’est donc pas la « massification » des études secondaires qui en est la cause. Tout en interrogeant cette notion d’échec (des étudiants se réorientent, changent de filière, trouvent un travail, etc.), il faut aussi tenir compte des conditions d’accueil dans les universités (amphis bondés, manque d’enseignants), du fait qu’un étudiant sur deux travaille pour financer ses études, et de la grande disparité sociale de ce taux d’échec. Plutôt que de s’attaquer aux racines du mal, ce qui nécessiterait d’y mettre les moyens humains et financiers, le gouvernement préfère mettre en place une sélection masquée qui aggravera l’inégalité du système3, en attaquant en priorité les bacheliers professionnels et technologiques, dont on pense qu’ils ne méritent pas d’aller dans certaines filières.
Fait significatif, le ministère de l’enseignement supérieur lance des groupes de travail dont certains traitent de l’accès à l’enseignement supérieur (réforme des modalités d’affectation via APB, question des pré-requis etc.) avant que le ministère de l’éducation lance sa concertation prévue en novembre visant à préparer la réforme du bac qui entrerait en vigueur en 2021. Ainsi le MESR redéfinit des modalités sélectives d’entrée à la fac qui vont verrouiller les discussions à propos du bac puisque celui-ci devra satisfaire l’exigence de pré-requis. Suivront les discussions sur le contenu des séries et des enseignements au lycée en fonction des nouvelles modalités de bac. Autrement dit on prend les choses à l’envers, dans une perspective comptable de gestion des flux étudiants, et non pas dans l’idée de faire réussir les élèves au lycée et de leur donner réellement accès aux études de leur choix.
L’urgence de la lutte
L’obtention d’un baccalauréat est pour nous le seul pré-requis acceptable. Les épreuves doivent rester nationales, anonymes et évaluer réellement les acquis de l’enseignement secondaire. Si celui-ci doit préparer à la poursuite d’études, on ne peut conditionner l’accès aux filières du supérieur au passage par certaines séries ou certaines options en lycée car cela revient à conditionner la poursuite d’études aux choix d’orientation faits en fin de 3ème ou fin de 2nde.
Il y a là un enjeu de société majeur qui nécessite un combat syndical résolu où doivent converger les syndicats de l’enseignement, ceux du supérieur et toutes les organisations de jeunesse. Les choses vont aller très vite, il y a urgence.
Yves Cassuto, Marie-Cécile Périllat