Au mois de février, un article paraissait dans « Le Monde » sur la situation de la Protection Judiciaire
de la Jeunesse. Article alarmant, mais au final partiel, car centré sur l’Ile de France et les difficultés de gestion liées aux problèmes de santé de l’ancien directeur inter régional. Nul ne sait pourquoi le journaliste, à l’époque,
s’était contenté du point de vue du SPJJ/UNSA, troisième force syndicale à la PJJ
et n’avait pas cru bon de pousser l’investigation plus loin en interrogeant, notamment, le syndicat majoritaire qu’est le SNPES-PJJ/FSU. Qu’aurions nous pu dire ?
Comme de nombreux services publics, la PJJ a été lourdement touchée par le rouleau compresseur de la RGPP. Au sein d’un ministère de la justice qui détient le record d’un des plus faible budget parmi les pays européens, la PJJ a payé le plus lourd tribut. Durant quatre ans, de 2008 à 2011, les restructurations, les suppressions de postes, les redéploiements se sont succédés à un rythme effréné.
A la PJJ, la RGPP aura produit, dans un premier temps, la fusion ministérielle des personnels administratifs et techniques, l’externalisation rampante des fonctions techniques et les plates-formes administratives interrégionales ministérielles, vastes organisations déshumanisées tant du point de vue du traitement des personnels que de l’exécution des missions. Elle aura peu à peu vidé la PJJ des postes de personnels, autres qu’éducatifs, et supprimé ainsi leurs tâches spécifiques dans la prise en charge des mineurs.
Puis, dans un deuxième temps, nous avons assisté au démantèlement des services d’insertion professionnelle, au regroupement d’unités éducatives et à la fermeture de nombreux foyers éducatifs.
Enfin, ce fût la refonte de la carte administrative avec cinq directions régionales et plus d’un tiers des directions départementales fermées au profit de territoires dits « pertinents », mais procédant surtout d’une vision strictement comptable, car la RGPP aura réussi à configurer une administration de plus en plus éloignée des populations prises en charge.
Mais, cette application brutale n’est pas due au hasard. En effet, parallèlement à cette politique de réduction des coûts des services publics, le précédent quinquennat a été marqué par une avalanche de lois liberticides et sécuritaires qui, loin s’en faut, n’a pas épargné la justice des mineurs. Celle-ci a connu des régressions majeures : instauration de tribunaux correctionnels pour mineurs en lieu et place des tribunaux pour enfants, procédures de jugement accélérées, peines plancher, développement des structures d’enfermement …Ainsi, la réduction drastique des moyens a constitué une opportunité pour réorienter en profondeur les missions. C’est pourquoi, l’application de la RGPP devait avancer aussi vite que les réformes législatives de l’ordonnance de 1945.
L’abandon des missions
de protection, une mesure emblématique
A cet égard, le recentrage total au pénal de la PJJ a été emblématique de cette politique où RGPP et transformation des missions se sont constamment et mutuellement justifiées : puisqu’il fallait faire des économies, la mission de protection serait supprimée au prétexte de gagner des marges financières pour la mission plus répressive. Au passage, le suivi des jeunes majeurs en grandes difficultés d’insertion sociale aura été aussi retiré des missions du service public de la PJJ, le « social » étant supposé relever de la compétence des Conseils Généraux avec les risques d’abandon de la jeunesse la plus fragilisée. Risques qui sont très souvent devenus réalité.
Ce recentrage est aussi emblématique du comportement maltraitant d’une direction de la PJJ faisant preuve du plus grand zèle dans l’application des commandes politiques. En effet, cette réorientation tournait le dos à une évolution historique de l’institution liée à la double compétence civile et pénale obtenue dans la foulée de l’ordonnance de 1958 sur l’assistance éducative. Cette évolution, cohérente avec l’esprit de l’ordonnance de 1945 instaurant la primauté éducative, avait contribué à construire l’identité éducative de l’institution par l’intégration de la dimension de protection dans l’action des professionnels y compris pour les jeunes auteurs de délits. C’est pourquoi, cette décision avait profondément heurté les personnels, d’autant plus qu’elle avait été appliquée de façon brutale et arbitraire en décrétant la non budgétisation des mesures civiles existantes dans les services, dévoilant ainsi avec cynisme l’objectif comptable du passage au tout pénal. A l’époque, ordre avait été donné aux personnels de terminer au plus vite les prises en charges en assistance éducative au mépris du travail engagé et de la continuité éducative.
Ces orientations conduites ces dernières années sont indissociables d’un management pratiqué avec un grand professionnalisme. Un management pour mettre les personnels en ordre de marche et les adapter à la « modernisation » de la PJJ. La direction de la PJJ avait deux obsessions qu’elle a cherché en permanence à faire coïncider. D’une part, changer une certaine culture professionnelle qui s’était forgée dans l’engagement auprès de la jeunesse en difficulté et, d’autre part, rendre ce service public irréprochable du point de vue de sa gestion et de son adaptation à la rigueur budgétaire. En somme, le faire rentrer dans la culture des contrats d’objectifs et des résultats tout en le recentrant sur des missions strictement régaliennes.
Un management pour mettre au pas les personnels
Dès lors, une gestion des personnels s’est mise en place, basée sur des contrôles permanents et infantilisants de la part d’une hiérarchie elle-même sous pression, plus prompte à soupçonner qu’à soutenir des personnels devant, pourtant, faire face à des situations de jeunes et de familles de plus en plus précarisées. L’instauration du mérite et une politique indemnitaire savamment dosée ont produit une mise en concurrence des personnels et, par conséquent, de la division et des replis individualistes. Tout écart avec les orientations mises en place a été assimilé, au mieux à une idéologie syndicale dépassée, au pire à des fragilités personnelles des agents. Entre cahiers des charges, protocoles, tableaux de bord à remplir pour justifier l’activité, entre adolescents à éloigner de plus en plus systématiquement et la recherche épuisante de solutions qui s’amenuisent de plus en plus, sauf à se tourner vers un centre fermé, les personnels sont guettés par l’usure, voire la souffrance professionnelle.
Et aujourd’hui ?
Il va s’en dire que, dans un tel contexte, les attentes étaient grandes chez les personnels, vis-à-vis du nouveau gouvernement. Mais à la PJJ comme ailleurs, aucun changement n’est intervenu. Au contraire, l’actuelle direction de la PJJ est restée inchangée et la politique menée s’inscrit dans une continuité remarquable de celle conduite hier. L’actuel directeur, qui a fait partie des cabinets ministériels de la droite et, à ce titre, a préparé les réformes régressives, n’a-t-il pas cru bon de dire à notre organisation syndicale : « Vous m’avez souvent reproché d’être zélé durant le précédent quinquennat, je le serai tout autant durant l’actuel ».
Certes, les personnels ne sont plus sous la pression de faits divers impliquant des mineurs qui, sous le précédent quinquennat, se traduisaient par une nouvelle loi ou une déclaration tonitruante stigmatisant le laxisme de la justice des mineurs. Mais aucune des promesses de campagne de l’actuel président n’a été traduite dans les faits. Au ministère de la justice, les dossiers concernant les mineurs sont toujours en attente. Pendant ce temps, les tribunaux correctionnels pour mineurs continuent de fonctionner, les peines plancher d’être appliquées et les CEF d’être crées. Par ailleurs, si la PJJ ne connaît plus de suppressions de postes et si le budget a connu une légère augmentation, il est loin de pouvoir compenser les destructions de ces dernières années. Les services fonctionnent à flux tendu en permanence et le chantage à la fermeture de service ou de poste est monnaie courante en cas de baisse de l’activité. Ainsi, dans une institution où les repères professionnels communs ont été fortement attaqués au profit d’une normalisation des pratiques, où l’action éducative est réduite au traitement de l’acte délinquant, aucune amélioration des conditions de travail et d’exercice des missions n’est intervenue et l’existence de phénomènes de souffrance professionnelle perdure.
Si, sous l’impulsion du gouvernement, le dialogue social se développe tous azimuts, cela ne peut tenir lieu d’une indispensable rupture dans les politiques menées jusqu’alors.
Dans ce contexte, le SNPES-PJJ s’emploie à mobiliser les personnels autour de leurs conditions de travail et du sens de leurs missions. Seule la construction de mobilisations susceptibles de créer des rapports de force favorables aux personnels permettront à ceux-ci de retrouver une dignité professionnelle aussi fortement attaquée que la qualité de la prise en charge des mineurs. ●
Maria Ines