Interview de Manuela Dona, syndicat national des agents des Douanes (CGT)
Le 20 Avril 2011, les douaniers du Havre refusent de contrôler des marchandises
en provenance du Japon. Nous avons interrogé Manuela Dona, secrétaire régionale
du Syndicat national des agents des Douanes (CGT) et membre du bureau national.
◗ EE : Peux-tu expliquer les causes de cette action ?
Manuela Dona : Un mois après la catastrophe de Fukushima, une cellule interministérielle de crise au niveau européen a été mise en place dans les ports européens (en France : Le Havre et Marseille), un protocole de contrôle des produits alimentaires provenant du Japon (les autres étant certifiés par les autorités japonaises). Les contrôles devraient être effectués par des personnels formés avec des équipements spéciaux. Pour cause de RGPP, il n’y a plus de fonctionnaires de la concurrence et de la répression des fraudes au Havre et les pompiers spécialisés ne sont plus que trois, d’où la demande que les contrôles soient effectués par le service des douanes.
◗ EE : Quelle a été la réaction des personnels à ce moment là ?
M. D. : Dans un 1er temps, les personnels concernés (30 agents) ont refusé les contrôles sans exercer le droit de retrait, contrairement à ce qui s’est passé à Marseille. Ensuite, sous la pression de la direction, ils ont accepté de faire les contrôles à condition d’obtenir des moyens de protection. Ils se sont aussi adressés à l’IRSN, l’ASN et la CRIIRAD afin d’obtenir des informations sur les risques liés aux contrôles.
◗ EE : Quels étaient ces risques ?
M. D. : Le principal risque encouru était l’inhalation de poussières radioactives qui se déposent sur les conteneurs dans les zones contaminées au Japon. Les inquiétudes ont été confirmées par la présence de Césium 137 dans 3 conteneurs arrivés dans le port de Zeebrugge. Pour effectuer les contrôles, les douaniers havrais ont obtenu… des gants, des combinaisons en papier et 30 minutes de formation pour utiliser des instruments de mesures ! Dans un cadre « normal », la formation de 1er niveau de radioprotectionniste dure 8 semaines !
◗ EE : Un tel dispositif te semble t-il efficace ?
M. D. : Non, car les contrôles ne concernent que 1 à 3 % des marchandises ; or, ici, il arrive 600 conteneurs par mois ! Les exercices d’application du protocole ont été réécrits 8 fois. Pour contrôler un conteneur, il faut une demi-journée, c’est une sécurité a minima faite pour communiquer en direction de l’opinion. D’ailleurs, le 22 août, il y a eu un deuxième incident avec un contrôle positif (5 fois la « dose » autorisée). Les douaniers ont attendu deux heures sous la pluie (avec des combinaisons en papier) l’intervention des pompiers spécialisés. Entre temps, la dose de radioactivité avait été multipliée par 2 !
◗ EE : Quelles ont été les conséquences de ce deuxième incident ?
M. D. : C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. A ce moment là, il y a eu une prise de conscience des dangers du nucléaire, mais aussi des mensonges des autorités responsables de l’activité nucléaire civile. Si rien ne se passe rapidement, les personnels exerceront leur droit de retrait. On voit bien que les conséquences de Tchernobyl n’ont pas été tirées. Alors bien sûr, le débat sur la sortie du nucléaire est lancé, notre prochain congrès (dans quelques mois) devra se prononcer.
◗ EE : Qu’a fait la section syndicale ?
M. D. : Nous avons, dans un premier temps, axé nos actions sur la défense des personnels et de leurs conditions de travail. Nous avons aussi informé les personnels portuaires et les dockers des risques de radioactivité sur la zone portuaire. Nous avons pris contact avec la fédération CGT de l’énergie, notamment des personnels de la Hague, dont l’activité se rapproche de celle de Fukushima. Nous avons aussi fait des démarches auprès des politiques (EE-les Verts, député communiste). Nous avons aussi dû faire face au chantage de la direction régionale : « le refus des missions, c’est moins d’emplois » (cette année, il a eu 350 suppressions de postes de douaniers). ●
Propos recueillis par Alain Ponvert