Le salaire, et donc le syndicat, est aujourd’hui violemment attaqué par les autorités européennes.
Jusqu’alors, le salaire, comme droit négocié au cœur de l’identité du syndicat, restait une question purement nationale, exclue des compétences de l’UE. Mais, depuis deux ans, avec la mise en place de la nouvelle
« gouvernance économique européenne », les acteurs économiques de l’UE ont kidnappé le salaire et procèdent
à une offensive sans précédent face à laquelle la Confédération Européenne des Syndicats (CES) a bien du mal à adopter une stratégie revendicative. Les pistes ne manquent pourtant pas.
La BCE, la DG ECFIN et le conseil ECOFIN ont transformé le salaire en une statistique de « coût du travail », mesurée comme indicateur à limiter afin d’améliorer la compétitivité. Un plafond maximal d’augmentation doit être respecté sous peine de sanctions financières. D’un droit négocié national, le salaire est devenu un prix de marché européen ! Selon le Conseil européen « les obstacles d’ordre institutionnel à l’ajustement flexible des prix et des salaires aux conditions du marché [doivent être] supprimés ».
Dynamitage des institutions salariales
Ainsi, depuis 2010, sont mises à mal les institutions du salaire partout en Europe, et ce plus ou moins violemment selon l’état de soumission du pays à l’UE : avec des interventions autoritaires de la Troïka par des plans d’austérité imposés, ou par des recommandations de la Commission. Déconstruire ainsi les systèmes de négociations collectives conquis de hautes luttes c’est attaquer frontalement l’existence même du syndicat dans chacun des Etats membres. La Commission ne s’en cache pas indiquant qu’il faudrait « promouvoir des mesures qui se traduisent par une réduction globale de la capacité de fixation des salaires des syndicats ». Directement menacés, comment ripostent les syndicats européens ?
Le salaire est longtemps resté une question taboue pour la CES qui lui préférait le dialogue social européen sur des questions moins centrales. Mais l’attaque frontale de l’UE a fait émerger, lors du dernier Congrès de la CES en 2011, un
diagnostic commun entre syndicalistes européens : la CES s’est clairement opposée à la Commission et à sa gouvernance anti-salariale. S’il existe donc bien un consensus syndical pour refuser une austérité salariale permanente, une question demeure : comment faire ?
La difficile riposte syndicale
Une première réponse date de la fin des années 1990. La CES avait mis en place une stratégie de lutte contre le dumping salarial : la coordination des négociations collectives cherchant à promouvoir une norme salariale « syndicale » incluant inflation et productivité. Alors que l’UE (sucrant l’inflation) promeut désormais des salaires nominaux « suivant la productivité » et plaide pour une harmonisation à la baisse sur toute l’Europe, cette norme syndicale est remise au goût du jour.
Deuxième piste explorée : le salaire minimum européen, mot d’ordre qui pourrait s’imposer étant données la disparité des rémunérations pratiquées dans l’UE et l’absence de plancher dans certains pays. Une règle européenne, permettant une augmentation relative dans l’ensemble des Etats, pourrait être celle d’un salaire minimum calculé par rapport au salaire moyen national : 50 % à court terme, puis 60 %. Les syndicats des grands pays sont pour : les organisations françaises avec le modèle du SMIC, les anglaises fières de la réussite de leur minimum récemment acquis, et les allemandes en quête d’un standard universel pour les prochaines élections. Mais les italiennes et les scandinaves y sont fermement opposées craignant de mettre à mal leur système de négociation des salaires minima sectoriels, souvent très élevés. Ce veto a bloqué toute revendication en la matière depuis le début des années 2000. L’impossibilité de s’accorder sur cette question témoigne du travail qui reste à accomplir pour aboutir, à un échelon transnational, à une dynamique revendicative commune.
Restent des questions : comment sortir du repli syndical national ? Comment éviter que ne s’accentue le déséquilibre entre les pays ? Comment créer un nouveau rapport de force face aux acteurs économiques de l’UE ? Les défis que ces questions soulèvent sont de taille : d’une part, la mise en place d’une stratégie d’européanisation des luttes, déjà en route avec la grève transnationale inédite du 14 novembre dernier, et, d’autre part, la réappropriation du salaire par les interlocuteurs sociaux. Si les salaires doivent être traités à l’échelle de l’UE, c’est à eux seuls de s’en emparer, et non aux institutions économiques pilotant une surveillance de la modération salariale. ●
Anne Dufresne, FNRS, Belgique,
chercheure associée à l’IRES,
auteur du livre « Le salaire, un enjeu pour
l’eurosyndicalisme », PUN, 2011.