La liberté de circulation et de séjour, l’Union européenne est censée en constituer une pierre angulaire, une de ses valeurs intrinsèques. Cette affirmation qui figure dans les traités ne résiste pas à une analyse plus factuelle. Pourquoi la question migratoire est-elle si centrale en Europe ? Quels sont les choix politiques effectués ?
Une gestion de l’immigration au service du « marché du travail »….
En 1899, en France, les premiers décrets pris par un socialiste participant à un gouvernement, Millerand, étaient des décrets protégeant le travail national, décrets applaudis par la classe ouvrière de l’époque et par Jules Guesde en particulier[[Quand Millerand restreignait l’immigration, Pierre Milza, L’Histoire, octobre 1979]].Accusé.es par les « locaux-ales » de faire pression sur les salaires, les migrant.es ont souvent été accusé.es de jouer le rôle de « l’armée de réserve de travailleur.euses » décrite par Marx. Bien avant la construction européenne donc les migrations étaient un enjeu politique pour le salariat et le patronat.
Le développement de l’Union européenne en tant qu’agent économique, la révolution néo-libérale qui précarise l’ensemble du salariat ont définitivement fait de l’immigration une variable d’ajustement régulière aux problématiques économiques. Quand Merkel annonce l’accueil d’un million de réfugié.es en 2015 – n’y voyons aucune philanthropie – c’est avant tout pour satisfaire les besoins du patronat allemand[[Migrants, ce que cache la générosité d’Angela Merkel, Benoît Feschner, L’Express, septembre 2015]]. Choix qui sera remis en cause dès 2016.
… ultra-contrôlée…
Le souci de l’Union européenne, c’est que les États, et surtout les gouvernements, qui la composent ne veulent pas se laisser dicter les choses au détriment de leurs agendas politiques internes. Et les agendas sont à l’heure de la fermeture. La montée de l’extrême-droite, des idées racistes et xénophobes, ont inscrit la question des frontières, de leur gestion au planning de tou.tes les dirigeant.es et pas seulement de la droite conservatrice. Faire reculer le droit d’asile est devenu progressivement une obsession des principaux dirigeant.es. La politique de libre-circulation des personnes à l’intérieur des frontières depuis les accords de Schengen en 1991 a donc eu, pour corollaire, le contrôle strict des entrées et le fichage généralisé. Pour empêcher ce que les cyniques appellent « l’asylum shopping », le règlement dit Dublin II est mis en place dès 2003. Cette réglementation empêche les migrant.es de déposer des demandes d’asile dans plusieurs pays. Et ce n’est pas le passage à Dublin III en 2013 qui change fondamentalement le paradigme. A ses frontières, l’Union européenne considère les migrant.es comme des citoyen.nes de seconde zone qu’il faut contrôler, ficher.
… au mépris des droits humains.
Le point le plus saillant actuellement est la politique d’externalisation du contrôle des frontières. Et comme il n’y a pas de hasard, c’est sous la présidence autrichienne en 1998, pays qui venait de voir l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir, que l’idée est émise. Elle sera reprise par les britanniques en 2003 et finalisée en 2004 par la mise en place de l’Agence Européenne pour la Gestion de la Coopération Opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX).
Cela consiste à déléguer la gestion du flux migratoire dans les pays qui sont aux frontières de l’Europe et au coeur des routes migratoires actuelles. Présentée comme de la coopération par l’Union européenne, la réalité est mortifère : c’est une sous-traitance directe de la gestion des flux migratoires contre versement de fonds, avec des États qui ne garantissent aucun des droits humains fondamentaux pour les migrant.es. Les exemples les plus connus sont les camps libyens où des violations graves des droits humains ont été constatées de nombreuses fois.1
Variable d’ajustement économique, fichage, mise en danger délibérée des migrant.es, voilà le crédo poursuivi. Et il est responsable à ce jour de plus de 17 000 mort.es connu.es depuis 20142 en Méditerranée. Plus que jamais, le mouvement syndical doit s’emparer de ces questions et réaffirmer la liberté de circulation et d’installation comme seule solution viable sur le long terme.
Antoine Chauvel