Les filles et fils d’ouvriers et d’employés, les jeunes issus, de l’immigration sont surreprésentés dans l’enseignement professionnel public.
Leur orientation vers cette voie ne répond que très rarement à une vocation et, sans vouloir être provocateur, on peut dire que ces élèves sont orientés sur la base des revenus de leurs parents.
Même si l’apprentissage d’un métier – souvent manuel – a toujours souffert d’une mauvaise image, l’enseignement professionnel a aussi permis de remotiver et de sortir de nombreux jeunes de la spirale de l’échec scolaire pour être le lieu où, par l’articulation d’un enseignement général et professionnel, ils pouvaient redonner sens à la scolarité et à la poursuite d’études.
À l’issue de leur scolarité, ils étaient assurés d’une insertion rapide dans des emplois d’ouvrier ou d’employé plutôt stables.
Ces dernières années, la voie professionnelle n’a cessé d’être montrée du doigt, accusée de ne pas répondre aux enjeux économiques actuels et d’être la source du chômage des jeunes.
Sommée de développer des partenariats renforcés avec l’entreprise, elle subit des attaques tous azimuts, conduites avec une logique libérale implacable.
En 2009, Xavier Darcos engageait de façon brutale une réforme qui balaya en quelques mois le diplôme du BEP, une année entière de formation, l’examen terminal et national du Bac pro et des milliers de postes de PLP et instaura en lieu et place du cycle BEP/Bac Pro en 4 ans, un cycle unique en 3 ans, le contrôle en cours de formation (le CCF) et 22 semaines de stage en entreprise (PFMP).
Alors qu’elle percutait l’ensemble de la formation professionnelle initiale menant de manière massive vers les emplois d’ouvrier et employé, elle fut menée dans un silence assourdissant.
Soutenue alors par plusieurs syndicats, dont le SNETAA, syndicat majoritaire, il ne reste plus beaucoup de monde pour défendre cette réforme, tant son échec est manifeste.
**Moins pour tous
Avec la suppression d’une année de formation, au nom de la « rénovation » et de l’égalité des filières, les 3 années d’études rythmées par le passage des CCF pour l’obtention de diplômes et de certifications intermédiaires « maison », des heures d’accompagnement personnalisé au détriment de l’acquisition de savoirs, le dédoublement des classes devenu rare, les élèves et les enseignant-es paient le prix fort d’une politique libérale de marchandisation.
Les premiers, par la disqualification des diplômes qu’ils préparent, la disparition de la passerelle qui permettait à certains de rejoindre la voie technologique, les seconds, par la pression hiérarchique permanente qu’ils subissent de la 2nde à la Terminale pour réévaluer des notes qui seraient jugées trop basses et le poids écrasant des tâches administratives liées aux CCF.
Cette réforme, sur laquelle le ministère actuel ne revient en rien, si ce n’est une hypothétique réduction des PFMP ou le remplacement du CCF par un contrôle continu, est emblématique du peu de cas qui est fait des jeunes issus des classes populaires et de leur formation, des conditions d’apprentissage nécessaires à leur progression, de leur maîtrise des savoirs généraux et savoir-faire techniques complexes qu’ils ont à intégrer.
En cela, la création du Bac pro Gestion administration qui remplace les bacs secrétariat et comptabilité illustre parfaitement les transformations en cours.
La mise en place d’un « passeport professionnel » évaluant 55 compétences liées à des situations professionnelles (que l’élève complète, corrige et recorrige, guidé par l’enseignant-e) impose une évaluation permanente tout au long du cycle.
Les professeurs sont chargés d’enseigner par scénarios, les élèves devant être mis en situation d’entreprise. Au-delà de la surcharge de travail, ils constatent qu’au moment où l’on avance vers l’autonomie des établissements, on leur impose de façon autoritaire des méthodes d’enseignement au détriment de leur liberté pédagogique.
Dans la logique de dévalorisation des diplômes de la voie professionnelle, ce baccalauréat a été vidé de contenus pourtant indispensables à l’insertion professionnelle comme les techniques de base en comptabilité.
À travers l’exemple de ce bac, qui est un des plus importants de par le nombre d’élèves qu’il concerne, ce qui est à l’œuvre, c’est le démantèlement du droit du travail par le biais de la formation initiale, des jeunes formatés à la culture d’entreprise et le décrochage du lien diplôme/salaire pour une pression vers le bas.
Au-delà, il disqualifie les jeunes pour la poursuite d’études et constitue un frein à l’accès à la formation continue, dont on sait déjà qu’elle ne profite qu’aux plus diplômés.
Ce sont les raisons pour lesquelles le SNUEP-FSU demande un moratoire de ce bac.
**Sous la coupe des entreprises
Initiée en 2002 par le ministre délégué à l’enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon, la réforme du Lycée des métiers avait permis entre autres, de réunir sur un même site et autour d’un pôle lié à un secteur d’activité, la formation initiale, l’apprentissage et la formation continue ; le développement des partenariats école entreprise et l’adéquation de la formation aux situations locales.
Loin d’une rupture avec les réformes passées, Vincent Peillon inaugure une nouvelle labellisation avec la création des campus des métiers et des qualifications qui permettent la mainmise des entreprises sur la formation initiale.
Ils regrouperont dans un même lieu des LP, des lycées polyvalents, des CFA, des organismes de formation, des établissements d’enseignement supérieur autour d’un pôle d’activité (dit de compétitivité régional).
Ils noueront avec les entreprises locales des partenariats et mettront à leur disposition les plateaux techniques. Ce sont déjà 12 campus qui ont été labellisés, avec l’objectif d’en créer au moins un par académie.
La formation qui y sera dispensée le sera sous différents statuts : initiale, apprentissage, contrat de professionnalisation… En plus de l’alternance, ces campus sont exhortés à pratiquer la mixité des publics (lycéens/apprentis/étudiants) et des parcours, et le développement de l’apprentissage.
L’objectif est clair : il s’agit de développer l’alternance à tous les niveaux, moins d’école et plus d’entreprise pour les jeunes et faire de l’adéquation formation/emploi pour le compte du patronat local.
**Perspectives sombres
La crise économique, avec l’explosion du chômage et de la précarité, est une aubaine pour la promotion sans relâche de l’apprentissage et la poursuite de la régionalisation de la voie professionnelle.
Le gouvernement n’a de cesse de présenter l’apprentissage et la coopération étroite avec les entreprises comme le remède miracle à la difficulté et au décrochage scolaire des jeunes.
A l’occasion de l’installation du CNEE (Conseil national éducation économie), le ministère a annoncé son objectif d’augmenter de 50 % le nombre d’apprentis dans les seuls EPLE d’ici 2017 (l’objectif est d’atteindre les 500 000 apprentis).
Il s’agit de développer l’apprentissage, non pas en complémentarité mais en concurrence de la formation initiale. Or, l’apprentissage, en plus d’être une voie patronale, où les filles et les jeunes issus de l’immigration sont sous-représentés, connaît un taux élevé de ruptures de contrat. S’il réussit à certains, c’est d’abord par son caractère sélectif.
En parallèle, la loi de refondation de l’école a déjà anticipé sur l’acte III de la décentralisation avec le pilotage de la carte des formations par les régions (ouverture et fermeture de sections de formation professionnelle initiale).
Si les recteurs peuvent encore participer à la définition des priorités, ce sont les régions qui arrêtent la carte et ont le dernier mot. Dans cette logique, l’offre de formations initiales est conditionnée localement, en bassins d’emploi, ce qui contraindra fortement les vœux d’orientation des élèves en fin de 3e et participera à l’aggravation des inégalités territoriales.
Et le MEDEF ne manque pas de réclamer à son tour sa part dans le pilotage de cette carte.
Cette politique pour l’enseignement professionnel s’inscrit pleinement dans une logique libérale : dévalorisation des diplômes, adéquation de la formation initiale aux besoins de l’économie capitaliste, développement d’une culture d’entreprise dès le plus jeune âge, mise en concurrence entre voies, filières et établissements…
Tout est bon à condition de servir la sacro-sainte employabilité, sans la réelle volonté d’élever le niveau de qualification des jeunes.
L’enseignement professionnel subit une transformation profonde qui n’autorise plus la correction des inégalités de départ. Par son biais, c’est la restructuration brutale du monde du travail qui est à l’œuvre.
Sortir l’enseignement professionnel de l’école publique, ce serait confier des centaines de milliers de jeunes au patronat, l’abandon de tous les combats pour l’extraire de son giron. Aujourd’hui, la formation du travailleur, la reconnaissance des savoir-faire et des qualifications représentent un enjeu social majeur que les personnels de la voie professionnelle ne peuvent être seuls à défendre et auquel nous devons répondre par des propositions de réformes déterminées qui aillent dans le sens d’une école émancipatrice, sans regard nostalgique du passé.●
Isabelle Lauffenburger