Dans le principe de « discrimination positive » qui a présidé à la création des ZEP, la logique de compensation prévalait : le slogan « donner plus à ceux qui ont moins » avait alors valeur de précepte, il s’agissait de tendre vers un même objectif, et pour l’atteindre, de doter de moyens supplémentaires ceux
qui se présentaient avec un handicap socio-culturel sur la ligne de départ.
En quelques sortes, « la fin justifiait les moyens »…
Ce principe foncièrement égalitariste a été dénaturé et, avec lui,
le fondement des ZEP totalement dévoyé.
La politique compensatoire a fonctionné dans les années 80-90 : les résultats en ZEP se sont maintenus, malgré la dégradation du contexte économique et social et l’écart avec le reste des établissements ne s’est pas creusé grâce aux moyens dont les ZEP ont bénéficié. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
Au lieu de tirer vers le haut les écoles et établissements labellisés, c’est-à-dire de leur permettre, par l’attribution de moyens supplémentaires, de répondre aux besoins particuliers du public scolarisé, et donc d’atteindre le même niveau que les établissements « ordinaires », c’est une logique inverse qui s’est imposée : pour ces enfants pauvres, on a bâti une « pauvre école ».
Avec force dérogations et expérimentations (notamment grâce à l’article 34 de la loi Fillon), la ZEP est sortie du cadre national : elle s’est affranchie des horaires imposés nationalement, des enseignements, des contenus, de l’organisation, de la finalité assignée à l’éducation. En effet, ici on ne fait plus que des cours de 45 mn (au lieu de 55 mn), là on organise l’enseignement par semestres (on ne fait plus de langue vivante la moitié de l’année…), ailleurs, on privilégie les stages de sport collectif ou de plein air, plutôt que les enseignements des programmes – qui, partout, ne sont que « supplément d’âme » puisque, en ZEP, l’objectif à atteindre se limite au socle commun…
Pas étonnant par conséquent que cela ne fonctionne pas : les ZEP sont à part, stigmatisées comme différentes, bientôt ghettoïsées… Pour parachever ce projet de « discrimination négative » sévit la méritocratie : les élèves les plus « méritants » sont exfiltrés et dirigés hors des ZEP (dans les internats d’excellence, par exemple). CQFD : on ne peut pas réussir en ZEP…
**Réforme Peillon :
la continuité
Le gouvernement a voulu prendre « des mesures d’une ampleur inédite » pour sa réforme. On constate pourtant un manque flagrant : pas un mot sur les effectifs…
C’est pourtant le levier principal sur lequel on doit jouer pour réduire la fracture entre l’éducation prioritaire et les zones plus favorisées. Le cadre budgétaire contraint montre aussi ses limites : au lieu de définir des critères qui indiqueraient l’endroit où il faut mettre les moyens, le ministre a décidé du nombre de réseaux d’éducation prioritaire (REP et PEP+) ; les critères, sous la forme d’un « indice unique », viendront après.
On voit déjà le flou, voire l’arbitraire qui préside à la désignation des quelques 100 REP+ qui doivent être mis en place dès la rentrée 2014.
Certaines mesures sont pourtant positives : scolarisation des moins de trois ans, mais pour atteindre 30 % seulement en 2017, ce qui sera encore inférieur au taux national d’avant 2005 ! Implantation de maîtres supplémentaires dans toutes les écoles des futurs REP soit 7000 écoles, on voit tout de suite le hiatus ! De la formation continue… à hauteur de trois jours annuels !
Mais les mesures les plus emblématiques et qui concernent les personnels seront réservées aux quelques 350 REP+. Le doublement de l’indemnité ZEP passera donc à 2300 € annuels, les REP ordinaires devant se contenter de 1700 € et surtout les fameux allègements de service devant élèves : une pondération de 1,1 dans le secondaire (soit 1 heure et demie hebdomadaire qui ne se traduit pas concrètement par un allègement du service, mais par autant, voire plus de temps travaillé, et une rétribution en HS !) et 9 jours annuels dans le primaire.
Certaines autres mesures ne marquent pas une rupture pourtant nécessaire avec la politique ECLAIR : pilotage renforcé par la hiérarchie, recrutement sur profil pour les postes nécessaires à ce pilotage et surtout création d’un grade à accès fonctionnel (GRAF) qui s’inscrit dans une individualisation et une vision « méritante » de la carrière, et représente une entorse supplémentaire au statut.
**école commune,
objectifs communs
La société, ses inégalités, la misère qu’elle charrie, tout cela pèse sur l’école, et l’école ne peut à elle seule tout résoudre.
Mais elle ne doit en aucune façon aggraver un contexte déjà inégalitaire. Malgré les différences socio culturelles et les malentendus que cela peut entraîner, ou les difficultés cognitives de certains élèves, l’enseignement en ZEP est identique (mêmes objectifs, mêmes contenus, mêmes finalités) à celui des établissements « ordinaires ».
Pour y parvenir, il faut que l’entrée dans les apprentissage et leur acquisition soit l’absolue priorité (et en finir avec la pédagogie du « détour » qui décentre les activités – vers de l’occupationel, de « l’éducation à »…). Les IG Simon et Moisan l’avaient déjà signalé en leur temps[[Rapport Moisan–Simon, 1997.]] comme facteur de réussite.
Cela nécessite de tout miser sur la classe comme lieu d’apprentissage privilégié, et de développer des dispositifs à même de venir à bout des difficultés dès qu’elles se présentent : de mettre en place des pratiques pédagogiques diversifiées, de travailler en tout petits groupes, en co-intervention, avec des effectifs très réduits, en imposant le travail de groupe et la coopération entre élèves…
Cela implique des moyens, évidemment, en terme de postes. Mais, ô surprise, avec de telles pratiques, on vient à bout de la difficulté scolaire, ça marche !
**Et hors la classe ?
Cette dynamique participe d’un cercle vertueux de réussite, qu’il est nécessaire d’alimenter hors de la classe : les enseignants doivent travailler eux aussi de façon coopérative, entre eux, mais aussi au sein d’équipes pluriprofessionnelles afin de croiser les regards sur les élèves.
Ils ont tout intérêt aussi à associer les parents afin de bâtir, ensemble, un projet éducatif commun pour les jeunes dont ils ont la responsabilité. Il ne s’agit pas seulement de belles intentions : réalisées, ces démarches témoignent de leur efficacité sur la réussite des élèves.
Elles ne relèvent pas non plus d’une utopie, mais encore une fois, elles nécessitent des moyens : il faut du temps pour se concerter entre professionnels, pour rencontrer les familles, pour être à l’écoute des élèves, et ce travail « invisible » doit être pris en compte ; pour les personnels, tant que la question de la diminution des maxima de service ne sera pas résolue, tant que les conditions de travail ne seront pas sensiblement améliorées, les évolutions ne pourront être que marginales.
Et les exigences ne s’arrêtent pas là : comment l’école peut-elle représenter pour la jeunesse un véritablement levier vers l’émancipation si elle ne lui donne pas des conditions d’études correctes, si elle ne lui procure aucune ouverture au plan culturel ?
L’école doit donc une nouvelle fois compenser, face aux inégalités sociales, encore aggravées par la crise : il faut donc augmenter les bourses sur critères sociaux, abonder de façon conséquente les fonds sociaux, créer un financement spécifiques pour les sorties pédagogiques et les voyages scolaires, sources de découvertes et moments de vie partagés.
Les projets sont nombreux en écoles et collèges de centre ville, les parents peuvent payer… Pourtant, en ZEP, les élèves ont autant, voire davantage, besoin de ces moments extra scolaires tellement formateurs. Ne pas leur donner une éducation au rabais, c’est maintenir le même niveau d’exigences scolaires, mais aussi leur procurer le même cadre d’épanouissement et de construction de leur personnalité.
Le projet initial de discrimination positive n’était pas appelé à durer, et la justice vite rétablie, les établissements devaient retrouver le lot commun. Mais le provisoire dure depuis longtemps déjà, preuve de la faillite du projet… ou de l’enlisement de la société dans les inégalités.
Aujourd’hui, les fondements du projet initial ont été dynamités, et le modèle d’éviction auquel il a laissé place est à rejeter. Mais les problèmes ne sont pas pour autant résolus, et la priorité à l’éducation ne cesse de s’étendre à de nombreuses couches de la population.
Au-delà de la question des ZEP, c’est donc bien tout notre système scolaire, avec la sélection, la compétition et la reproduction sociale à laquelle il participe qui est totalement à réinventer : il faut changer de paradigme pour l’éducation. ●
Véronique Ponvert et Jérôme Falicon