L’école et ses critiques

L’institut de la FSU a lancé un chantier de recherche sur l’analyse
des discours produits sur la crise de l’école. En voici les principaux axes méthodologiques. Ses objectifs tentent de concilier rigueur
et exigence critique pour donner aux syndicalistes la compréhension
de la façon dont sont fabriqués les discours
et l’opinion sur les questions scolaires.


Le chantier de recherche a choisi d’affronter une question politique et sociale chaude, l’analyse des discours produits sur l’école et sa crise durant la période 2000-2009 par différents groupes d’acteurs : scientifiques, intellectuels, experts, politiques, syndicaux. Cartographier sur une période très contemporaine les argumentaires, leurs lieux de production et leur mode de diffusion éditoriale et médiatique, nécessite un appareillage théorique et méthodologique solide pour éviter l’écueil de la simple expression de point de vue. En effet, les syndicats de la FSU et certains chercheurs de l’institut participant pleinement à cette production diffusion de discours sur l’école, il faut pouvoir assumer les controverses de façon non réductrice. « Une controverse […] n’est pas qu’un processus d’élaboration du vrai, relevant de l’épistémologie, elle est aussi un processus conflictuel, qui relève non seulement de la sociologie des sciences, mais d’une sociologie des conflits. » (1)

Cartographier les discours sur l’école…

Le travail se décompose en trois sous-chantiers chargés respectivement d’analyser la production scientifique et essayiste, la presse quotidienne et celle des acteurs syndicaux, associatifs et politiques. Seul celui consacré à la publication des ouvrages fait l’objet d’un traitement sur l’ensemble de la période 2000-2009, pour les autres, l’ampleur et la dispersion de la production nous ont conduit à sélectionner des années tests pour examiner l’ensemble des éditoriaux et sommaires des publications.

La passion française pour les questions touchant à l’éducation et l’école en tant que symbole de la république donne lieu à une importante production où l’on trouve pêle-mêle des contributions de chercheurs en sciences humaines et sociales, des pamphlets, des essais, des témoignages. C’est pourquoi le premier objectif du chantier a été de quantifier et de qualifier le corpus des ouvrages publiés sur les questions scolaires dans cette période. Par qualification du corpus il faut comprendre : le poids respectif de la production scientifique et essayiste, celui des disciplines les plus prolixes (sociologie, psychologie, sciences de l’éducation…etc.), ensuite l’analyse de contenu des titres et des mots clés qui permet une approche des thèmes dominants. Ce travail débouche ensuite sur un corpus représentatif d’environ 300 ouvrages qui seront analysés plus systématiquement.
Afin de faire converger les analyses des trois sous-chantiers nous disposons d’une grille d’analyse commune qui cherche à mettre en relief la façon dont sont déclinés dans chacune des trois sphères d’expression : les symptômes de la crise scolaire, les différents discours sur les réformes, les types d’acteurs chercheurs, experts, décideurs amenés à prendre la parole.

…pour maîtriser les outils de fabrication des opinions

L’ambition d’une telle démarche consiste à produire une connaissance élargie des prises de position sur les questions scolaires, de leur logique d’élaboration et leurs évolutions au cours de la première décennie du XXIème siècle. Tracer les continuités et les lignes de ruptures entre différents protagonistes sur des rhétoriques concernant l’égalité des chances ou des résultats, la démocratisation, le rôle de l’Etat, le collège unique, le socle commun de connaissance, sont quelques unes des pistes auxquelles le chantier se propose de contribuer par son apport. Par ailleurs, il entend aider à une meilleure approche des règles de fonctionnement et de diffusion des idées.

Pour des militants syndicalistes, la maîtrise des outils de la fabrication des opinions, y compris les leurs, s’avère indispensable. Connaître les codifications journalistiques en usage dans la presse quotidienne, le poids des corporatismes disciplinaires dans le point de vue des « intellectuels », les rapports des gouvernants avec l’expertise indépendante, les règles de l’expression publique syndicale, est utile à l’exercice d’une réflexivité critique. Ainsi, bien que soumis au rythme lent de la recherche, les productions à venir du chantier devraient apporter aux protagonistes des débats sur l’école des armes essentielles dans une période d’exacerbation de la crise capitaliste.

Philippe Mazereau

1) P. Schmoll, Matière à contreverses, Strasbourg, Néothèque, 2008, p11.