Il existe en France une très forte corrélation entre difficultés sociales et difficultés scolaires.
L’école ne parvient pas à jouer le rôle de compensation que l’on serait en droit d’attendre d’un service public garant d’égalité. Des contenus et des programmes (vastes, élitistes), des pratiques pédagogiques (empêchées
par des conditions de travail dégradées), des évaluations à répétition, le renvoi à domicile d’un travail
de réinvestissement nécessaire, tous ces aspects font de l’école un outil de tri social.
Avec une situation qui ne fait que se dégrader, il devient urgent de repenser l’école pour tous.
Le tri social déjà à l’œuvre sera bientôt aggravé par les mesures du dernier plan de rigueur : rabot de 20 millions d’euros sur le budget 2012, en premier lieu sur les bourses et les fonds sociaux. Une double peine pour les pauvres alors que les inégalités s’accroissent !
Une « pauvre » école
pour les enfants pauvres
Le niveau global de qualification s’est incontestablement élevé. Cependant, la reproduction des inégalités sociales et scolaires demeure et l’écart a même tendance à se creuser. La proportion d’élèves ayant le bac a évolué : en 1996, les fils de cadres ont 8,9 fois plus souvent le bac que les fils d’ouvriers, en 2002 la proportion passe à 14. La reproduction en terme d’accès aux diplômes n’est pas mécanique, mais les enfants d’ouvriers (10 % à bac +3) doivent redoubler d’efforts pour accéder aux diplômes facilement acquis par les classes aisées (50 % des enfants de cadres, 75 % des enfants d’enseignants). A mesure que l’on s’élève dans les études, la proportion d’enfants issus de classes défavorisées diminue. Le 3ème cycle universitaire est tout autant sélectif socialement que les grandes écoles, les inégalités demeurent et l’écart reste réel entre les classes sociales : 39 % des fils d’ouvriers suivent des études supérieures, contre 80 % des fils de cadres ; à 18 ans, 30 % des enfants d’ouvriers et d’employés ont arrêté leurs études, contre 5 % des enfants de cadres.
Et si la sélection s’opérait jusque-là à l’issue de la scolarité obligatoire, aujourd’hui elle intervient de plus en plus tôt : la politique ségrégative se met en place dès les petites classes et à tous les échelons de la scolarité. Le dispositif ECLAIR qui a pris la place de l’éducation prioritaire va encore aggraver le phénomène : des populations souvent défavorisées sont regroupées, ghettoïsées. Les contenus sont dérogatoires (ces élèves-là ne font pas la même chose que les autres), l’orientation peut intervenir dès la fin de la 5ème (apprentissage, alternance) rendant impossible toute poursuite d’études et hypothéquant gravement les chances d’insertion professionnelle.
Penser l’école pour tous,
donc POUR les pauvres
L’orientation précoce vers des études courtes est un profond vecteur d’inégalités sociales, tous les travaux des chercheurs (Cf Nathalie Mons) concordent : les pays où les écarts entre milieux sociaux sont les plus forts sont ceux qui trient le plus tôt. Inversement, plus une école est commune, sans parcours ni contenu ségrégatifs, plus cela profite à l’ensemble de la population. Les attentes des classes populaires vis-à-vis de l’école sont immenses : T. Poullaouec(1) insiste sur le fait que les familles ouvrières, loin d’être démissionnaires, nourrissent une ambition scolaire égale à celle des cadres pour leurs enfants, mais que l’ambition fait place au renoncement en cas de difficultés.
Pourtant, l’éducabilité de tous ne fait pas de doute. C’est donc au sein de l’école qu’il faut chercher à faire réussir tous les élèves. Les effets du redoublement, qui touche deux fois plus les élèves des milieux défavorisés, sont loin d’être probants sur la réussite scolaire. Il faut donc :
✔‘ repenser le parcours des élèves comme un ensemble commun (car on n’apprend bien qu’ensemble), un continuum sans éviction hors du cursus ordinaire ;
✔‘ penser l’aide au cœur des apprentissages via la coopération, en permettant aux plus fragiles de tirer profit de l’aide d’autres élèves ;
✔‘ rompre avec la sélection et la compétition, promouvoir une école de la solidarité ;
✔‘ en finir avec la sélection et l’évaluation, qui s’incarnent de façon caricaturale à travers le LPC(2) ;
✔‘ penser les rythmes scolaires pour une école sans cartable, sans devoirs à la maison : l’apprentissage des leçons et les travaux écrits se faisant dans le temps d’enseignement, au sein de la classe.
L’école doit permettre à terme aux enfants de trouver une place (de citoyen, d’individu libre et émancipé) dans notre société. Elle doit aussi donner une place aux parents, notamment ceux des milieux populaires, pour qu’ils surmontent leur peur de l’institution et construisent, avec les personnels et avec les élèves, les conditions d’une scolarité apaisée, débarrassée des tensions liées à la compétition scolaire et sociale. Il faut repenser une école juste, pour changer la société. ●
Véronique Ponvert
1) Le diplôme, arme des faibles.
2) Livret personnel de compétences.