Emmanuel Macron ne s’est jamais caché de vouloir instaurer une « flexisécurité » à la française en matière d’emploi. Son but est simple : satisfaire les demandes de baisse du coût du travail formulées de manière récurrente par le patronat, flexibiliser le marché du travail français. Sous couvert de permettre aux salariés de conserver certains avantages en cas de changement d’emploi, sous couvert de prétendre vouloir étendre l’assurance chômage à de nouveaux bénéficiaires, Emmanuel Macron est en train de revoir en profondeur notre système d’assurance chômage. La loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », dite loi Pénicaud, du 5 septembre 2018, qui se compose de trois volets (apprentissage, formation et l’assurance chômage) est la traduction législative de cette orientation. Elle a été complétée par un décret du 30 décembre 2018 qui instaure un système de sanctions sans précédent contre les chômeurs.
L’État a organisé un affaiblissement des comptes de l’UNEDIC.
Depuis de nombreuses années maintenant, l’État organise sciemment un affaiblissement de l’assurance chômage en rendant ses comptes déficitaires (exonération de cotisations sociales pour les embauches au SMIC, ponction sur ses comptes pour financer 75 % du budget de Pôle emploi,…). Actuellement son déficit est de 1,9 milliard d’euros.
Une négociation 2018 vouée à l’échec
C’est dans ce contexte de fragilité financière des comptes de l’UNEDIC que s’est ouverte la négociation de l’assurance chômage en novembre 2018. Le gouvernement avait adressé une lettre de cadrage aux partenaires sociaux (syndicats et employeurs) leur demandant de renégocier avant fin janvier 2019 les modalités de plusieurs éléments : activité réduite, activité « permittente » (salariés multi-employeurs qui peuvent être indemnisés quand ils en perdent un), calcul du salaire journalier de référence, mécanismes pour inciter à la baisse des contrats courts (le fameux « bonus-malus »), refondation de l’articulation entre assurance et solidarité… La lettre réclamait en même temps un désendettement de l’assurance chômage, soit plus d’économies à hauteur de 1,3 milliard d’euros par an.
L’équation étant impossible à résoudre, ce qui devait arriver s’est produit : les négociations se sont conclues par un échec et l’État a repris la main le 26 février dernier en présentant la « méthode et le calendrier » de sa réforme qui devait être conclue fin avril. Mais la situation politique du pays étant celle que nous connaissons, le gouvernement a décidé de repousser les annonces de sa contre réforme après les élections européennes. Et pour cause, les droits des chômeurs seront une nouvelle fois réduits, ce que ne compenseront pas les deux effets d’annonces que sont le « bonus-malus » sur les contrats courts et le plafonnement des allocations pour les cadres.
La fin du paritarisme, l’étatisation de l’assurance chômage
N’oublions pas que le chômage en France est basé sur un système assurantiel (ce n’est pas une indemnité versée par l’État) dont les règles sont définies par les partenaires sociaux dans le cadre de la négociation de l’assurance chômage. Si les chômeurs sont indemnisés, c’est parce qu’ils ont cotisé. Cela veut dire que lorsqu’on est salarié, on cotise et ensuite, lorsque le risque chômage survient, à ce moment-là on peut être indemnisé de manière proportionnelle à son ancien salaire. En reprenant la main sur la négociation d’assurance chômage, le gouvernement a remis en question le mode de gestion paritaire de l’UNEDIC. Il en découle une étatisation et une fiscalisation de son mode de financement. En d’autres termes, la logique assurantielle porteuse de droit laisse la place à une logique d’assistance.
Pour parachever son œuvre, le gouvernement a publié un décret renforçant la pression exercée sur les chômeurs.
Le renforcement du contrôle de la recherche d’emploi
C’est en catimini, le 30 décembre 2018, pendant « la trêve des confiseurs », que le gouvernement a décidé de publier un décret qui aggrave les sanctions à l’égard des demandeurs d’emploi. Dans un contexte social explosif, le gouvernement choisit d’organiser la violence sociale à l’encontre de cette population par définition fragile, alors même que les négociations sur l’assurance chômage et la convention tripartite (État – UNEDIC – Pôle emploi) n’ont pas encore abouti. Les sanctions en cas de « manquements » du demandeur d’emploi sont renforcées. (Voir tableau)
Groupe de manquements | Sanction 1er manquement | Sanction 2e manquement | Sanction à partir du 3e manquement | |
Groupe 1 : Absence à Rendez- Vous | Radiation 1 mois (le droit n’est pas supprimé) | Radiation 2 mois Et Suppression du revenu de remplacement de 2 mois | Radiation 4 mois Et Suppression du revenu de remplacement de 4 mois | |
Groupe 2 : Manquement GL[[Non respect des obligations de recherche d’emploi ; non présentation à une action de formation ; abandon en cours de formation ; non présentation à une visite médicale ; refus d’élaboration ou d’actualisation du PPAE (projet d’action de recherche d’emploi) avec son conseiller Pôle emploi ; second refus d’offre raisonnable d’emploi ; refus d’une action de recherche d’emploi ; refus d’une action d’insertion ; refus ou non présentation à une prestation d’accompagnement.]] | Radiation 1 mois Et Suppression du revenu de remplacement de 1 mois | Radiation 2 mois Et Suppression du revenu de remplacement de 2 mois | Radiation 4 mois Et Suppression du revenu de remplacement de 4 mois | |
Groupe 3 : Fausses Déclarations | – Fausse déclaration pour être ou demeurer inscrit – Fausse déclaration en vue de percevoir indûment le revenu de remplacement |
Dès le 1er manquement Radiation de 6 à 12 mois ET Suppression définitive du revenu de remplacement | ||
– Activité professionnelle très brève non déclarée | Sanction 1er manquement | Sanction à partir du 2e manquement | ||
Radiation de 2 à 6 mois Et Suppression du revenu de remplacement pour une durée égale à celle de la radiation | Radiation de 6 à 12 mois ET Suppression définitive du revenu de remplacement |
La radiation punitive, le chômeur coupable de son chômage
Ainsi, le demandeur peut être radié un mois la première fois, deux mois la seconde et quatre mois la troisième. Pire encore, ses allocations ne sont plus suspendues et reportées comme auparavant mais, grande nouveauté, purement et simplement supprimées ! Cette graduation des durées de radiation relève d’une criminalisation des demandeurs d’emploi et d’une judiciarisation du service public. Et si la radiation punitive semble souvent disproportionnée, plongeant les demandeurs dans une dangereuse précarité, la suppression des allocations apparaît comme un déni flagrant des droits des chômeurs.
Une mesure idéologique, inefficace et sans effets sur la baisse du chômage
Une étude du ministère du travail de 2014 a démontré que les « sanctions diminuent le salaire horaire obtenu un an après la sortie du chômage et augmentent la probabilité d’accepter un emploi à temps partiel ou d’une catégorie socioprofessionnelle plus basse ». Cette même étude conclut que les personnes sanctionnées ont une probabilité plus forte de se retrouver au chômage avec un effet important sur leur salaire (- 11 %). Rappelons enfin les réserves exprimées par la mission d’information du Sénat rendue en février 2019 à propos de la notion d’absence à rendez-vous : « Si une telle procédure est appliquée à la lettre, elle peut aboutir à des sanctions difficiles à justifier sur un plan humain. Des événements courants et anodins (une ligne téléphonique occupée par un appel, une connexion au réseau momentanément interrompue, un temps de réponse trop long pour décrocher ou une sonnerie inaudible) pourraient en effet suffire à faire d’un demandeur d’emploi un absentéiste et entraîner le cas échéant la perte d’un revenu de remplacement ayant valeur alimentaire ».
Malheureusement, le gouvernement n’a que fi de ces réserves. Le fantasme récurrent du chômeur « responsable » de son état, et pire maintenant, avec la double peine (radiation + suppression des allocations chômage), celui du chômeur « coupable » de son état ou celui du chômeur « fraudeur » (rappelons que la fraude aux allocations représente moins de 0,5 %) a pris le dessus.
Alors la question que beaucoup se posent est la suivante : pourquoi le gouvernement Macron s’obstine-t-il dans cette voie ? Tout simplement car il est aux ordres du patronat et des marchés financiers qui cherchent depuis de nombreuses années à mettre la main sur l’argent de l’assurance chômage qui leur échappe. Pour ce faire, ils proposent un système basé sur une logique d’individualisation : une indemnité de base très faible (payée par l’État) élargie à plus de personnes certes, mais avec l’idée sous-jacente d’y adjoindre un système contributif « par point » (voire une assurance individuelle privée pour ceux qui pourront s’en payer une) au lieu d’un système fondé sur la solidarité entre différentes catégories de la population. Il s’agit beaucoup plus de flexibiliser que de sécuriser les parcours des salariés.
Ces projets sont tout à fait contraires à la conception de la sécurité sociale professionnelle que défendent certaines organisations de salariés (dont la FSU) ou associations de chômeurs et qui, plus que jamais, devrait être remis au cœur de nos revendications.
Manu M’Hedbhi (SNU Pôle emploi)
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