Les dernières prévisions de l’OCDE — organisation internationale qui réunit les experts des pays riches — sont orientées à la baisse. La croissance mondiale serait de 3,3% — au lieu de 3,8% précédemment — si celle des États-Unis se maintient à son niveau tandis que la zone euro enregistrerait une hausse de 1%.
La zone euro serait la plus bousculée. L’Italie se trouve déjà en récession. La France ferait exception avec 1,3% grâce à l’action des « gilets jaunes » qui a permis de débloquer des augmentations de revenus pour les plus démuni-es permettant une faible hausse de la consommation des ménages. L’économie allemande, la plus importante de la zone, ne connaîtrait que 0,7% de croissance en fonction de sa dépendance aux évolutions du commerce mondial. Les échanges mondiaux ont régressé à la fin de l’année 2018, un indicateur à la fois de la montée des protectionnismes et la prégnance de la surproduction, la production mondiale augmentant plus rapidement que les capacités d’absorption du marché final.
L’incertitude s’installe. Pour l’Union Européenne, elle est renforcée par le Brexit. La sortie de la Grande-Bretagne n’a pas été prévue. Personne ne sait quelles en seront les conséquences. Pour le commerce mondial, c’est une mauvaise nouvelle. Géopolitiquement, c’est un changement brutal.
Désormais le commerce mondial est tributaire à la fois des États-Unis et de la Chine. Ce dernier pays connaît un ralentissement de la croissance prononcée avec son cortège, étrange pour la Chine, de montée du chômage — le gouvernement avoue 5,5% — et de désindustrialisation. Son modèle économique est en train de changer, mais elle reste tributaire de ses exportations. Lorsque, comme c’est le cas en février 2019, ses exportations baissent de plus de 20% sur un an, ce sont les Bourses qui chutent indiquant la poursuite de la crise financière. Les négociations commerciales actuelles voulues par les États-Unis accentuent l’incertitude et les risques d’un krach financier qui viendrait transformer la faiblesse de la croissance en récession profonde.
Une nouvelle donne intégrée par la BCE
Sa politique monétaire, dans le sillage de la FED — la Réserve fédérale américaine —, a changé. Le « quantitative easing », le rachat d’obligations d’État et de grandes entreprises, s’est arrêté en décembre 2018, mais elle conserve des taux d’intérêt très bas, un de ses taux directeurs est à 0%. Mario Draghi a aussi annoncé des prêts à deux ans aux banques pour leur permettre de résister à des taux d’intérêt faibles qui amenuisent leurs bénéfices et pourraient entraîner des faillites. Ces prêts de la BCE sont aussi des armes préventives contre la possibilité des faillites d’entreprise incapable de faire face à la montée de leur endettement, au service de leurs dettes. Les faibles taux d’intérêt, quelquefois négatifs, se sont traduits, depuis 2017, par une augmentation hors de proportion de la dette privée à des fins de spéculations devant la montée du cours des actions. Ces « prêts géants » ont comme but de maintenir des taux d’intérêt faibles pour le refinancement des dettes des entreprises.
Pour 2018 les entreprises du CAC40 ont enregistré des profits importants, une des causes de la remontée des cours des Bourses depuis l’« octobre noir » 2018. La destination de ces profits est improductive. Ils servent notamment à racheter les actions de sa propre entreprise — soit une destruction de capital — pour faire artificiellement monter les cours. 2018 a été une grande année pour cette pratique. Le lien profit/investissement est brisé. En 2018, les « hedge funds », des fonds spéculatifs, connaissent une baisse de leur rendement, un indicateur de la crise financière. L’appétence des investisseurs financiers pour les émissions de dette publique — des États-Unis au Qatar — est un autre symptôme de cette crise latente.
Des gouvernements atones
Les politiques économiques ne changent pourtant pas. Comme si les gouvernements voulaient ignorer la réalité. Poursuivre dans la voie des politiques d’austérité ne pourra qu’aviver la surproduction et la récession. Dans ce tsunami d’incertitude, une étincelle peut provoquer une crise de plus grande ampleur que les précédentes. Tous les ingrédients sont présents.
Depuis l’entrée dans la crise systémique en 2007/2008, il est visible que les modèles industriels, celui de l’Allemagne comme des États-Unis ou de la Chine, se révèlent inadaptés aux évolutions rapides de la révolution scientifique et technique, des modes de consommation et aux des nécessités de la lutte contre les mutations climatiques et la crise écologique. Les réponses ne peuvent être seulement conjoncturelles.
Nicolas Béniès