La question de la dette guide la politique d’austérité du gouvernement qui s’inscrit dans la logique de la troïka et du précédent gouvernement. Malgré un effort particulier sur le 1er degré – la fameuse « priorité au primaire » – notre analyse syndicale ne doit pas oublier que la société ne se réduit pas à l’école primaire, que les enseignants du 1er degré sont aussi des salariés et qu’en matière d’éducation ce gouvernement s’inscrit dans la continuité du précédent. Comprendre et décrypter les enjeux de la dette pour pouvoir lutter localement et à plus grande échelle contre le capitalisme, tel est l’un des enjeux de ce congrès de St Malo dont les textes préparatoires sont pour le moins discrets sur ces questions qui traversent pourtant les 3 thèmes.
Depuis 2010 s’est ouvert en France, en Europe et dans le monde une crise économique sans précédent depuis 1929. Une crise de surproduction à l’échelle mondiale qui a révélé une crise du capitalisme et de ses modes de productions. Elle s’est rapidement muée en crise des dettes souveraines car les spéculateurs ont transféré leurs fonds sur des valeurs « fiables », en l’occurrence les Etats, seules garanties de solvabilité. A titre d’exemple, la dette publique française avoisine aujourd’hui les 1600 milliards d’euros et les intérêts cumulés versés aux banques privés depuis 1973 s’élèvent à 1400 milliards d’euros… Par les mécanismes spéculatifs, la dette, pourtant indispensable au fonctionnement de toute entité collective, est devenue un véritable parasite qui se nourrit d’elle-même. A l’instar de l’Islande ou de ce que nous réclamons pour les pays du Sud, c’est bien l’annulation de toutes les dettes, illégitimes et néfastes, que nous devons porter syndicalement.
Une crise politique
Mais avec cette crise économique s’est d’ores et déjà enclenchée une crise politique à l’échelle mondiale. La défiance envers les gouvernements en place a trouvé une expression dans les printemps arabes, mais aussi dans les manifestations et les nouvelles modalités d’intervention (occupy, escraches…) du camp social des pays du Nord, sans toutefois trouver de débouchés politiques… Comble du cynisme, afin que les possédants puissent récupérer leur manque à gagner, ces gouvernements imposent, par l’intermédiaire de la troïka (FMI, commission européenne et BCE) des plans d’austérité qui consistent à faire payer aux salariés et aux citoyens une crise qui n’est pas la leur : baisse des salaires, casse des droits des salariés et des protections sociales, mise au rebut des services publics… Pire, cette troïka se permet même de réaliser des coups d’Etat « de velours » en débarquant des chefs d’état et en en imposant d’autres, sans aucune consultation démocratique (Italie, Grèce). Dans ce contexte, et alors que 14 millions de jeunes européens sont privés d’emploi, d’étude ou de formation et que 42% des jeunes en emploi sont des précaires, l’OCDE elle-même estime que «l’Europe échoue dans son contrat social avec la jeunesse » et que « le désenchantement politique croissant pourrait atteindre des niveaux similaires à ceux qui ont déclenché les printemps arabes.»
En France, une triste continuité
En France, force est de constater que le changement de majorité présidentielle et parlementaire ne propose pas de rupture avec les politiques antérieures et se sert de la dette pour justifier des reculs sociaux. Face à cette crise sans nom, le gouvernement actuel s’enfonce dans une continuité qui elle aussi tente de cacher son nom mais qui relève surtout de subtilités sémantiques : austérité contre rigueur, MAP (Modernisation de l’Action Publique) comme héritière discrète de la RGPP, ANI (Accord national interprofessionnel pour la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013) en lieu et place des accords compétitivité-emplois souhaités par Sarkozy… Mais ce sont bien les mêmes qui bénéficient de cette politique. Avec les mêmes conséquences : plus de misère et de chômage, moins de protections sociales et de droits salariaux, gel des salaires et des pensions, moins de services publics… Il y a derrière cet argument de la dette à rembourser une logique propre au capitalisme et qui consiste à prendre au monde du travail pour enrichir la classe dominante.
Une politique éducative régressive accélérée par l’orientation libérale
Certes, dans le champ de l’éducation la « priorité au primaire » est affichée, mais elle est bien frileuse quant aux enjeux et risque de passer relativement inaperçue dans les écoles. Même le ministre de l’éducation assume la continuité du socle commun Fillon comme il le revendiquait lui-même à l’assemblée nationale le 12 mars dernier. On ne peut donc pas limiter l’analyse de la loi d’orientation à sa programmation : la question du socle mais plus généralement les objectifs utilitaristes assignés à l’école sont dans la droite ligne d’une modification de nature anthropologique que le capitalisme tente d’imposer au service public d’éducation, et que la crise semble légitimer. En attestent les études de l’OCDE qui vont jusqu’à estimer le coût de l’investissement dans l’éducation et le bénéfice que l’économie de marché peut espérer en tirer : « si l’investissement dans le capital humain (en pourcentage du PIB) augmente d’un dixième, la production par travailleur augmentera de 6% » peut-on lire dans Effets de l’éducation et du capital social sur la croissance dans les pays de l’OCDE. Les ambitions éducatives de l’OCDE sont évidemment très éloignées de la volonté d’offrir une culture commune au plus grand nombre… A ce titre, les analyses de Francis Vergne, de l’institut de recherches de la FSU, mettent en lumière la volonté de transformer les systèmes éducatifs pour mieux correspondre aux nouvelles exigences de « l’économie de la connaissance » (performance, rentabilité, basculement des savoirs vers les compétences, mise en concurrence des établissements et des personnels, décentralisation, logiques managériales…). Un « reformatage utilitariste de l’éducation » dans lequel « l’école doit être au service de la compétitivité dans le cadre de la mondialisation ». Et même si la crise économique risque de momentanément freiner leurs ardeurs, Francis Vergne estime qu’il « est hautement improbable que les politiques néolibérales en matière éducative cessent ».
Quelles perspectives ?
En ce qui concerne la dette, les solutions avancées en France et en Europe consistent à réduire les dépenses publiques et mettre en œuvre des plans d’austérité. Ces prétendues solutions génèrent un cercle vicieux dans lequel l’Etat se prive de recettes et finalement augmente ses dépenses : moins de salaire c’est moins d’impôts, plus de précarité et de chômage c’est moins de consommation donc moins de TVA, moins de salariés c’est davantage de prestations chômage, etc. Selon Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE, « c’est tout notre modèle économique qu’il faut repenser. Il faut interdire aux marchés financiers le droit de spéculer sur les dettes publiques qui doivent être […] par une banque publique qui accorderait des prêts à des taux d’intérêt de 3% et non plus à 12%. Il est impératif d’augmenter les recettes fiscales et de lutter contre les inégalités de revenus en créant une fiscalité confiscatoire […] ». Parce que « la nouvelle logique à construire devra tourner le dos au capitalisme financier, au néolibéralisme et au productivisme », la FSU « estime nécessaires la restructuration et l’annulation partielles des dettes […].
Nationalement comme localement, la FSU poursuivra son implication dans les collectifs pour un audit citoyen de la dette publique ». (Thème 3 congrès de Poitiers). La responsabilité d’un syndicalisme de masse, et plus généralement du mouvement social, est de créer les conditions pour que les salariés s’emparent majoritairement de ces problématiques. Informer, créer les conditions du débat et de la mobilisation pour imposer d’autres choix, telle est la voie que doit suivre notre syndicat s’il veut se donner les moyens de s’opposer et de construire tout en redonnant confiance aux personnels dans leur force collective.There is an alternative !
Quelques liens :
– Réduire la dette publique : une priorité ? par Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE
– Collectif pour un audit citoyen de la dette
– Pétition un ANI qui nous veut du mal
– L’éducation saisie par le néolibéralisme, par Francis Vergne, de l’Institut de recherches de la FSU
– Politiques d’austérité : la dette illégitime par Philippe Légé, économiste à l’université de Picardie