À Stains, au mois de novembre 2018, la nomination d’un ex-gendarme à
un poste de proviseur adjoint (PA) au lycée Utrillo a eu pour
conséquence un mouvement de grève chez les enseignant-es. Des membres
de cette équipe reviennent sur les raisons du refus de cette
nomination.
– Dans quelles conditions le Rectorat a nommé un ex-gendarme à
ce poste de PA particulièrement au Lycée Utrillo ?
Les élèves du lycée sont recruté-es sur deux villes : Stains et
Pierrefitte-sur-Seine. De violentes rivalités opposent plusieurs cités
de ces deux villes et différents acteurs de terrain (mairie,
associations, médiateurs) nous disent ne pas avoir les moyens
suffisants pour ramener le calme et l’apaisement. Nous avons vécu des
moments d’affrontements entre bandes rivales sur notre parvis et nos
collègues de la vie scolaire, AED et CPE ont dû y faire face. Aucune
de ces violences n’a eu lieu à l’intérieur de l’établissement, même si
elles ont touché certains de nos élèves comme victimes. Il n’y a aucun
gros souci de sécurité à l’intérieur du lycée, pas plus que dans aucun
autre lycée de France. Ce sont uniquement les problèmes qui ont eu
lieu autour du lycée l’an dernier qui ont conduit le rectorat à la
création de ce poste sans aucune consultation avec les équipes
pédagogiques. À la rentrée, nous avons appris la nomination d’un 3ème
PA dont les missions exactes comme le corps d’origine ne nous ont pas
été communiqués, sauf qu’il aurait 50 % de son temps consacré à un
travail de proviseur adjoint classique et 50 % dédié à la
sécurité. Puis, aucune information, ni de notre direction, ni du
rectorat, malgré nos demandes d’audience.
– Quelles sont vos revendications en termes de « sécurité »
dans votre établissement ?
C’est contre la violence sociale que nous demandons des moyens. Nos
revendications concernent l’augmentation du nombre d’adultes en poste
(notamment AED, APS…), la pérennisation des équipes dans
l’établissement et des classes à effectifs raisonnables, des
dédoublements, meilleurs garants de conditions d’apprentissages
sereines pour l’ensemble de la communauté éducative. En termes de
« sécurité », personnellement, nous ne réclamons rien du tout dans
notre établissement ! Nous avons la chance d’avoir comme collègue un
APS (agent de prévention et de sécurité) et des Assistant-es
d’Éducation qui repèrent, désamorcent les conflits de manière
efficace, et ce quotidiennement avec les autres adultes de
l’établissement.
Nous avons besoin d’adultes supplémentaires pour écouter,
accompagner, aider, rassurer, motiver nos élèves, notamment la
création d’un deuxième poste d’infirmière et un deuxième poste
d’assistante sociale, qui travaillent aujourd’hui avec 1300
élèves.
– Comment l’équipe éducative et pédagogique qui a signifié son
refus conçoit la notion de sécurité ?
La sécurité passe par la discussion qui permet la prévention et, s’il
le faut, une action sur le terrain (présence sur le parvis des
professeurs qui aident les AED face à des situations de crise). Les
actions de prévention des conflits sont nécessaires : il faut
apprendre à gérer un conflit avec un pair, avec un adulte (cela vaut
aussi pour les personnels !).
La notion de sécurité est présente partout et tout le temps
(PPMS, Plan vigipirate, gendarme-proviseur dans le lycée
recruté pour ses compétences de gendarme), sous son aspect
anxiogène pour les élèves et pour les personnels (risques,
dangers, violences, etc.), et c’est hyperréducteur. Pour nous,
la sécurité c’est comment faire en sorte que nos élèves se
sentent bien dans leur lycée, c’est promouvoir l’écoute,
l’accueil.
– Quelles ont été les réactions des lycéen-nes à l’annonce de
cette nomination ?
Ils ont bloqué l’établissement deux jours, les élèves du CVL ont écrit
des tracts dénonçant le tout sécuritaire. Nous les avons sentis peu
rassuré-es (même si certain-es n’étaient pas opposé-es à cette
nomination). Certain-es élèves sont mobilisé-es, d’autres inquiet-es,
mais la majorité d’entre eux n’a pas saisi la portée symbolique que
représente la nomination d’un gendarme proviseur dans leur lycée : la
stigmatisation des élèves des quartiers populaires vus comme de
potentiels délinquants, qu’il faudrait « mater » par un lieutenant, la
stigmatisation des quartiers populaires où les habitants ne méritent
que répression, contrôle, flicage. Certain-es se sont aussi posé la
question de la sécurité des élèves sans papiers et se sont inquiété-es
de la présence d’un gendarme et de sa possible action.
– Comment évolue la situation depuis la nomination ?
La situation est tendue avec l’administration, les collègues sont
plongé-es dans une énorme souffrance. Si la volonté est de créer un
poste dédié à la sécurité des extérieurs du lycée, nous avons suggéré
au rectorat de lui donner un bureau hors les murs du lycée.
Nous avons découvert que ce proviseur adjoint avait « liké », et donc
participé à la diffusion, d’un tweet dans lequel on nous traite de
« merdes ». La seule réaction du recteur a été de dire : « oui, mais
vous avez vu comment vous l’avez accueilli aussi ? ».
De plus, durant les blocus de cette année, nous avons connu des grands
moments de tensions avec la police et avons constaté l’inutilité de ce
proviseur adjoint qui n’est à aucun moment intervenu pour apaiser les
tensions provoquées par les policiers. Ce sont des parents d’élèves
qui ont eu le courage d’aller discuter avec ces policiers pour tenter
d’apaiser la situation.
Propos recueillis par Ingrid Darroman