Nous sommes confrontées depuis maintenant deux ans à ce que les médias ont tenté de vendre à l’opinion comme le « phénomène Blanquer ». Il faut bien lui reconnaître l’habileté d’avoir centré ses premières annonces sur le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ et qui plus est, de l’avoir fait. Il a su s’offrir les services d’un Cyrulnik pour qu’enfin la maternelle devienne bienveillante et que les enseignant-es se convertissent aux théories de l’attachement. Il promettait aux lycéens de leur concocter un bac selon leurs goûts et leurs talents et de fluidifier leur entrée à l’université avec la mise en place de Parcoursup. Chapeau l’artiste.
Un projet dangereux pour l’école
Comment dans ces conditions faire entendre que cet homme et sa politique sont les plus grands dangers auxquels l’école et le corps enseignant sont confrontées depuis longtemps ? Pendant quelques 14 mois, nous avons été peu nombreux à ne pas nous laisser engluer dans la logorrhée lénifiante le faisant passer pour l’archétype du ministre idéal. Cette lucidité nous a poussés à décortiquer point par point les mesures qu’il prenait, à partager au plus près du terrain nos analyses, à intervenir le plus possible dans les médias et en direction des parents d’élèves. Mais avons-nous vraiment gagné ? Nos collègues, informés, sont maintenant majoritairement conscient-es de la dérive dangereuse dans laquelle l’école est engagée. Mais ils et elles la perçoivent surtout par les effets immédiats qu’elle produit mais n’appréhendent pas tous encore ce qui se joue à plus longue échéance.
Une école libérale
Ne nous y trompons pas, nous en sommes encore qu’aux prémices. L’école qui se dessine n’est pas l’école de Blanquer, elle est l’école libérale dans un monde libéral qui la fonde selon ses besoins. Les pays anglo-saxons ont ouvert la voie de cette école minimale qui permet de garantir un peu la paix sociale mais qui ne sera jamais celle des premiers de cordée. Aux plus pauvres, les fondamentaux, aux plus riches les établissements internationaux ou les écoles privées : tout est déjà inscrit dans le projet de loi. La norme scolaire a longtemps été celle des classes dominantes, nous assisterons bientôt à la multiplication des normes en fonction du milieu social ou du territoire d’origine. Cette école assumera de ne pas avoir la même ambition pour tous et toutes.
Cette étape de la prise de conscience politique est celle qui est devant nous. N’ayons plus peur des mots qui sont les nôtres et qui n’ont pas encore été pervertis ou récupérés : il est bien question de démocratisation, d’émancipation et de milieux populaires. A la bienveillance, opposons le respect, la justice et l’égalité. Aux talents, opposons le tous capables. A l’inclusion scolaire qui, trop souvent, exclut à l’intérieur même de l’école, préférons l’école pour tous et toutes. A la réussite préférons l’émancipation. Définissons ce que sont les savoirs fondamentaux qui permettront aux élèves de sortir de la condition dans laquelle le libéralisme voudrait les maintenir. Ne nous laissons pas contaminer par le vocabulaire et les méthodes de l’entreprise et ne laissons pas marchandiser la connaissance et les savoirs. Surtout, ne laissons pas dévoyer notre métier au service d’un projet que nous combattons.
Un projet de société
Parce que le projet pour l’école en dit long sur la société qu’elle entend servir, faisons du combat pour une école juste et démocratique un enjeu de société. Il faut maintenant que toutes les forces qui portent un projet émancipateur pour l’école se rassemblent. Parce que le SNUipp est identifié comme le premier opposant à Blanquer, notre outil syndical peut et doit initier ce grand mouvement de convergence. Cela doit commencer par l’annonce rapide d’une grève le 13 juin, jour de la commission mixte paritaire et se poursuivre à la rentrée prochaine par la construction d’un grand mouvement avec toutes les forces syndicales, associatives et universitaires de progrès permettant l’élaboration d’un projet pour une autre école.