Un an après les élections du 4 mars 2018 et neuf mois après la formation de l’alliance inédite de gouvernement entre la formation politique ambiguë du Movimento 5 Stelle et la Lega de Matteo Salvini est arrivée l’heure de faire le point.
Les élections avaient drastiquement sanctionné la débâcle des principaux partis qui ont dirigé le gouvernement italien ces derniers 25 ans. D’un côté, le parti de Berlusconi, qui est dégringolé de son pic historique de 2008 (13,5 millions de voix) à 4,5 millions, de l’autre, le Partito Démocratico de Matteo Renzi qui est passé des 12 millions de voix de 2008 à 6 millions. Le grand vainqueur avait été justement le Movimento 5 Stelle, qui avec ses 11 millions de voix s’est affirmé comme le premier parti du pays. Mais aussi la Lega de Salvini avait obtenu une importante affirmation politique en ramassant plus de 5,5 millions de voix et en acquérant, après trente années de vie comme parti essentiellement territorial du Nord d’Italie, le statut de parti national, présent de façon globalement homogène dans toutes les régions.
La laborieuse conclusion d’un contratto (c’est à dire d’un programme de gouvernement négocié entre ces deux partis), a amené, trois mois après, à la formation du gouvernement Conte.
Mais ce contratto a été agréé entre une force très fragile, sans aucune vision organique du monde, sans un noyau directeur structuré et expérimenté, sans un véritable enracinement dans la société et dans les mouvements, et un parti, dont la force était apparemment seulement la moitié de l’autre, mais fortement ancré dans le ventre de la société italienne, capable d’en interpréter les pulsions profondes, en syntonie avec les pressions plus réactionnaires, organisé et massivement présent dans les institutions locales, avec des milliers de conseillers communaux, régionaux, administrateurs.
Le leader de la Lega, Matteo Salvini a obtenu le ministère de l’Intérieur, d’où il a géré une formidable campagne réactionnaire visant à profiter du désarroi d’une société dévastée de 30 ans de politiques néolibérales, de s’adresser aux craintes de larges couches sociales pour le « « pericolo » (danger) de l’immigration « selvaggia » (sauvage) et de l’insicurezza (insécurité) des villes.
Le résultat a été que le racisme endémique présent dans la société est devenu légitime et s’est révélé avec une véritable explosion des épisodes de violence et de discrimination (passés, selon certaines associations de solidarité, de quelques dizaines en 2016 à 628 en 2018). Et non seulement les organisations non gouvernementales de secours aux migrants qui traversent la Méditerranée ont été criminalisées et obligées à retirer leurs navires, mais est en voie de démantèlement le réseau diversifié et diffus d’initiatives institutionnelles ou semi-institutionnelles ciblant l’accueil et l’intégration des migrant-es. Et d’ailleurs en novembre a été approuvé le decreto sicurezza (décret sécurité) voulu par Salvini qui planifie les expulsions des occupations illégales de bâtiments ou terrains, pour lesquelles ont été durcies lourdement les peines, peines durcies aussi pour les blocages routiers, qui rend beaucoup plus difficile et sélectif l’octroi de l’asile politique et de la citoyenneté et qui porte de 90 à 180 jours la possibilité de retenue dans des centres des migrant-es en attendant leur rapatriement.
Et encore, juste ces jours-ci, est en train d’être définitivement approuvée au Parlement une loi qui étend la légitimité de l’usage privé des armes.
Le Movimento 5 Stelle, de son côté, revendique l’approbation de certaines lois contre la corruption, mais une grande partie des punti forti (points forts) de son programme politique n’ont pas été respectés ou, tout au moins, sont encore en suspens. Il a dû capituler et accepter la construction du nouveau gazoduc depuis l’Azerbaïdjan Trans Adriatique Pipeline (TAP), qui dévaste plages et oliveraies dans le sud du pays, tandis que la Lega fait un tir de barrage pour ne pas supprimer le projet de tunnel pour le train à grande vitesse entre l’Italie et la France.
Mais, c’est sur le plan économico-social qu’est en train de se jouer le match-clé. Le Movimento 5 Stelle avait reçu une considérable quantité de soutiens dans les secteurs les plus déçus par la politique néolibérale des derniers gouvernements, de Monti à Renzi, à cause du report de l’âge de la retraite, de la réforme de la « buna schola » (la bonne école), de l’élargissement de la liberté de licenciement, etc.
Sur tous ces sujets, avec l’alibi du manque de fonds, en acceptant les pressions des organisations patronales et sans s’opposer efficacement au racket de l’Union européenne, pas grande chose n’a été fait… sauf un léger assouplissement des normes sur les retraites (utile à quelques dizaines de milliers de personnes), la réforme de droit privé de l’école et la liberté de licenciement ont été confirmées.
Et les plus récentes élections régionales (ainsi que les sondages en vue des prochaines élections européennes) quantifient férocement cette réalité, en prévoyant le doublement des voix pour la Lega, de 17 à 33 % et l’effondrement du M5S de 33 à 22 %.
Le Partito Democratico (Parti Démocratique), avec le nouveau leadership de Nicola Zingaretti (qui pousse le parti vers une plus grande attention aux classes les plus faibles), essaye de tirer profit de cette situation et d’apparaître comme la seule option alternative disponible.
Fabrizio Burattini, syndicaliste USB