Pourquoi les difficultés scolaires touchent-elles plus fortement les jeunes de milieux populaires, aujourd’hui comme hier ?
C’est toute l’ambition de ce petit ouvrage que de brosser un inventaire qui se veut largement accessible de plus de quarante ans de recherches sur la question, et notamment de celles portant sur le rapport au savoir et à la culture écrite.
Avec l’ouverture de l’école à tous puis l’accès élargi à l’enseignement secondaire, la dimension socialement ségrégative de l’échec scolaire ne cesse d’interpeller les principes de justice et d’égalité.
C’est un défi pour les enseignants soucieux de démocratiser l’école et d’émanciper les élèves qui leur sont confiés. Si le poids des facteurs externes n’est pas négligeable (conditions de vie des familles, structures, carte scolaire, moyens d’encadrement, formation…), cela ne saurait nous exonérer d’un examen lucide des facteurs internes qui, au quotidien et à notre insu, y participent.
Bien des travaux ont cherché à rendre compte des phénomènes à l’œuvre. La sociologie des années 70 parlait de « reproduction » par l’École d’une stratification sociale qui lui préexiste et qui, par son intermédiaire, se pérennise en légitimant la reconduction des « Héritiers » aux places enviables.
Les théories dites du « handicap socioculturel » se sont substituées à celle des dons, cherchant dans les conditions de la socialisation familiale l’origine de la distance voire du conflit avec l’univers scolaire.
Autant d’avancées compréhensives de l’échec scolaire ayant néanmoins des limites. D’une part, elles accréditent une vision « en creux » des jeunes et de leur famille (manque de vocabulaire, de socialisation, d’attention, d’autonomie…), vision en négatif et trop unilatérale, exonérant l’institution scolaire de ses responsabilités.
D’autre part, il n’y a pas d’automaticité des effets du social : certains enfants déjouent les pronostics liés à leur origine. Dès lors se pose la nécessité de dépasser les constats de corrélations statistiques et de comprendre la réussite ou l’échec non plus de l’extérieur mais de l’intérieur, en tant qu’expérience singulière, empreinte de subjectivité.
« Ils ne donnent pas de sens à l’école » ; « ils attendent qu’on fasse à leur place » ou font « vite fait, mal fait » ; « ils n’apprennent pas leurs leçons »…
Quel sens les élèves donnent-ils à leur présence à l’école et à ce qu’on leur enseigne ? Qu’exige le fait d’être élève, qu’est-ce qu’apprendre de leur point de vue ?
Face aux situations et aux objets de savoir, quelles logiques d’investissement et de conduites sont à l’œuvre et contribuent à la différenciation des résultats ? Autrement dit, qu’est-ce qui caractérise le rapport à l’école des jeunes de milieux populaires ?
**Recherches sur le rapport à l’école et pistes pédagogiques
Depuis les années 90, plusieurs recherches se sont penchées sur le sujet, de l’école primaire au lycée, relevant certes des spécificités de l’expression de leur rapport à l’école et aux contenus selon les degrés scolaires mais aussi de fortes convergences quant aux processus à l’œuvre.
Des difficultés d’accès à la lecture dès l’entrée à l’école primaire à la diversité des usages de l’écriture chez les lycéens, ces travaux ne pouvaient éviter de s’interroger sur le rapport à l’écrit et, au-delà, sur le rapport à la culture écrite des élèves.
Quelles différences apparaissent significatives à ce sujet ? Les jeunes y sont-ils également préparés ? Y compris jusqu’aux grandes classes, ont-ils conscience de la nature des déplacements à opérer ?
Identifier le « noyau dur » de ce qui est constitutif des différences face à l’école amène à remonter aux sources de ce qui le constitue.
On pense évidemment aux incidences de la socialisation familiale, aux expériences et aux interactions de l’enfant avec son entourage : plusieurs recherches éclairent cette dimension, antérieure et parallèle à la fréquentation de l’école, permettant de comprendre bien des malentendus.
Redevable à la socialisation familiale, le rapport à l’école ne saurait y réduire sa genèse. Si les jeunes pensent et agissent ainsi, c’est aussi parce que rien, dans leur expérience scolaire, ne les a amenés à penser et agir différemment.
Selon des recherches récentes, les pratiques scolaires confirment, mais aussi contribuent à initier leur rapport au savoir de façon plus ou moins heureuse.
Éclairée par ces travaux, l’école peut transformer l’ordre des choses et réamorcer une démocratisation en panne. Plusieurs pistes pédagogiques sont ouvertes, qui s’avèrent opératoires pour réamorcer le sens d’apprendre et le plaisir d’enseigner. ●
Jacques BERNARDIN
Le rapport à l’école des élèves de milieux populaires
De Boeck.