Le 25 mars dernier, le grand écrivain italien Antonio Tabucchi s’est éteint à Lisbonne, sa ville d’adoption. Né en 1943 à Pise, il était l’un des plus grands écrivains européens de la seconde moitié du XXème siècle, en même temps qu’un chroniqueur à la plume alerte, un défenseur des peuples bâillonnés et un opposant farouche à Berlusconi. Issu d’une famille de militants anarchistes, il a défendu toute sa vie les opprimés et s’est battu pour leur émancipation.
Fasciné par l’écrivain portugais Fernando Pessoa, il fait du Portugal son deuxième pays partageant sa vie entre Florence et Lisbonne. Son œuvre, empreinte de gravité, plonge ses racines dans l’histoire, met en scène des époques tragiques mais Tabucchi n’oublie jamais d’y inclure une dose de fantaisie et de rêve. Une vingtaine de ses livres ont été traduits en France. On peut citer parmi ceux-ci Nocturne Indien, Requiem ou encore Tristano meurt qui dresse un portrait au vitriol de l’Italie berlusconienne. Le plus marquant reste certainement son Perreira prétend, qui narre l’itinéraire d’un journaliste dans le Portugal salazariste de 1938. Directeur de la page culturelle du Lisboa, Perreira est au départ un personnage quelconque qui voudrait faire partager ses passions littéraires mais qui vit avec le souvenir obsessionnel de sa femme décédée. Sa rencontre avec un jeune révolutionnaire traqué va bouleverser ses idées anciennes et faire basculer son existence. Paru en 1994, durant la première campagne électorale de Berlusconi, ce livre devient un symbole de résistance pour les militants de la gauche Italienne. De même, ses articles dans le Corriere della Serra contre le cynisme, la vulgarité et la corruption du nouvel homme fort de l’Italie l’ont élevé en symbole de la lutte d’un pays en proie à ses vieux démons fascistes. La candidature de Tabucchi sur une liste du Bloc de gauche portugais aux européennes de juin 2004 s’est inscrite dans cette visée : permettre l’émergence d’une alternative sociale et démocratique sur tout le continent.
A l’heure de sa disparition, nous ne pouvons qu’inviter à se replonger dans l’œuvre d’Antonio Tabucchi qui a fait de sa plume une arme pour pourfendre les puissants, tout en invitant son lecteur à rêver à un autre monde. Et à ne jamais se résigner à la barbarie et à la médiocrité.
Julien Guérin