Une crise politique très grave se déroule en ce moment à nos portes et sous nos yeux. Je n’ai pas le temps ici d’expliquer en détails à quoi correspond le mouvement indépendantiste catalan par rapport à l’histoire de l’Etat espagnol, mais il faut d’abord et avant tout comprendre que l’Etat espagnol n’a rien à voir avec l’Etat français et accepter de penser en se décentrant des catégories politiques qui nous sont familières.
L’Etat espagnol reconnaît les nationalités, l’existence d’un peuple catalan, basque, etc., bref, il n’envisage pas le peuple espagnol comme entité à administrer au moyen de sa constitution mais bien une diversité de peuples. Cette tension entre l’un et le multiple existe depuis très longtemps, et ce qui se passe aujourd’hui n’est pas issu d’un coup de force du parlement catalan comme certains médias ou partis politiques français l’affirment mais relève du paroxysme d’un conflit sur la répartition des compétences dans le cadre d’un régime monarchiste dont il ne faudrait pas oublier que les deux pilliers institutionnels sont la famille royale et l’armée depuis la transition post franquiste de 1978.
En 2010, ce pouvoir a remis en cause le statut d’autonomie accordé à la Catalogne plusieurs années plus tôt suite à un long processus démocratique. C’est ce qui a mis le feu aux poudres. C’est de là que naît le sentiment que la sortie, c’est l’autodétermination, c’est la nécessité de consulter le peuple catalan sur ses relations avec cet état central qui les humilie. Or, les Catalans se voient refuser un référendum sur l’indépendance depuis lors, contrairement au Québec ou à l’Ecosse qui eux l’ont obtenu (j’insiste sur cet exemple car l’Etat espagnol est comparable au Royaume-Uni qui reconnaît l’existence de plusieurs peuples sur un territoire et un Etat commun). L’idée du droit à l’autodétermination a également progressé dans la société catalane car de nombreuses mesures politiques progressistes (par exemple, des dépenses publiques pour répondre aux besoins de la population) votées par le parlement ou encore au niveau de la mairie de Barcelone (dirigée par Ada Calau, qui n’est pas favorable à l’indépendance) ont été systématiquement annulées par l’intermédiaire de la Cour constitutionnelle espagnole.
Si l’on ne voit pas que les choix autoritaires du gouvernement en place sont vécus par une majorité de Catalans comme une atteinte à leurs droits, leurs libertés et à leur souveraineté politique et populaire, on ne peut pas comprendre que le mouvement en cours tient sur une mobilisation de masse menée davantage par les grandes associations mais aussi par les syndicats catalans (le genre de mouvement à la base qui a permis de rassembler 160 000 personnes pour l’accueil des migrants, ce qui montre que l’enjeu politique ici n’est ni le repli national xénophobe ni l’autarcie) que par la direction du parlement catalan.
Dans cette situation, la question du droit à l’autodétermination, qui est un principe reconnu dans tous les textes du droit international, ne peut pas être balayée d’un revers de la main quand nous le mettons par ailleurs en avant à juste titre pour d’autres peuples.
Le silence de l’Union Européenne face à l’autoritarisme et à la répression du gouvernement Rajoy est tout à fait dommageable et propice à nourrir les discours les plus réactionnaires à son encontre dans les débats concernant la question de la souveraineté politique, question instrumentalisée en ce moment par toutes les extrêmes droites des pays européens.
Pour l’Ecole Emancipée, la FSU doit se positionner sur cette question démocratique, en commençant par réclamer la libération de tous les prisonniers politiques, l’arrêt des poursuites et de la répression, mais aussi l’accord par l’Etat espagnol aux Catalans d’un référendum sur leur autodétermination et son engagement à en respecter le résultat politique, car les élections qui se tiendront le 21 décembre dans un climat de répression présente et à venir (Rajoy a déjà annoncé qu’il appliquerait à nouveau l’article 155 de la constitution si les indépendantistes l’emportaient) n’apporteront pas de solution politique à ce conflit qui ne pourra pas se régler de façon juste et légitime dans ces conditions.