En Grèce, la mobilisation populaire se poursuit. L’énorme colère de la rue a connu un nouveau point culminant le 28 octobre, jour de fête nationale. Mais l’Union Européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds Monétaire International ont continué à dicter les règles à un gouvernement sans courage qui appliquait à la lettre les mesures les plus antisociales. Ils ont réussi depuis à pousser au départ Papandréou et à imposer un gouvernement d’”union nationale”.
Le matin du 28 octobre, au centre de Thessalonique, une foule brandissant pancartes et drapeaux a interrompu la parade militaire qui a lieu, le même jour tous les ans, en commémoration de l’entrée du pays dans la deuxième guerre mondiale.
Le président de la République – personnage respecté qui occupe une fonction honorifique – ainsi que les officiels l’accompagnant ont été obligés de partir sous les quolibets.
La même scène s’est répétée dans des dizaines de petites et moyennes villes. Dans certains cas, des œufs et même des coups ont volé. C’est la première fois depuis soixante ans que de tels incidents ont lieu le jour du « OXI » (« Non » opposé par le peuple grec aux forces de Mussolini en 1940).
Très patriotes, voire nationalistes pour certains, les Grecs honorent habituellement ce type de cérémonie de même qu’ils respectent les plus hautes autorités qui occupent les tribunes officielles lors des parades de militaires et d’écoliers.
Mais pas cette fois-ci ! La colère était trop grande. Le « Non » brandi sur les pancartes des manifestants comportait une suite : « Non à la misère » , « Non à la Troïka », « Non aux mesures d’austérité ».
La rage dégagée par la rue ce jour-là, mais aussi lors des innombrables mobilisations précédentes, a été tellement forte qu’elle a obligé Papandréou à une énième diversion politicienne : l’annonce d’un projet flou de référendum afin d’éviter des élections anticipées, avant son retrait sous la pression du couple Sarkozy-Merkel et des « marchés » au profit d’un gouvernement de coalition avec l’opposition conservatrice.
Le « plan de sauvetage »
de la Grèce
Pourtant, à peine 48 heures avant ces évènements, dans la nuit du 26 octobre à Bruxelles, les chefs d’Etat de la zone euro avaient conclu un accord, présenté par les médias comme « historique », avec les banques qui incluait notamment la restructuration de la dette du pays : les détenteurs d’obligations émises par l’Etat grec en verront effacer approximativement la moitié (un haircut dans le langage financier).
Cette nouvelle n’a pas réjoui les Grecs qui savaient désormais ce qui les attendait. Depuis deux ans, ils ont eu droit au même scénario : des annonces de l’Europe censées résoudre le « problème grec » une fois pour toutes (en fait des prêts successifs à des taux élevés) ; des mesures d’austérité socialement injustes imposées par la Troïka (EU, BCE, FMI) et appliquées avec zèle par le gouvernement socialiste ; l’échec programmé de celles-ci ; de nouvelles mesures plus dures…
C’est ainsi que le 19 octobre, au milieu d’une énième manifestation de masse, la majorité a voté le dernier paquet de mesures en date. En dépit de la mort d’un manifestant à la suite de heurts violents sur la place Syntagma(1), tout près du Parlement, 154 députés du PASOK (parti socialiste grec) ont approuvé de nouvelles taxes exceptionnelles sur la propriété et sur le revenu et l’abaissement du seuil d’imposition minimal à 5 000 euros par an soit 1 500 euros en dessous du seuil statistique de pauvreté.
La restructuration de la dette, décidée par l’Allemagne et la France le 26 octobre et imposée au gouvernement grec, fait maintenant consensus auprès des décideurs européens. Pourtant, elle risque de déstabiliser encore plus les fonds de retraites grecs, détenteurs d’obligations de l’Etat, qui voient leurs avoirs fondre de moitié. Cela signifie à coup sûr de nouvelles diminutions des retraites, voire l’arrêt pur et simple des versements. De même les banques grecques, et leurs pertes, devront être nationalisées (2). Un comble pour un pays incité à privatiser toutes les entreprises publiques !
On comprend maintenant mieux pourquoi ceux qui soutenaient dès 2009 que l’effacement d’une partie de la dette grecque était inévitable, n’avaient pas été entendus. Il s’agissait d’utiliser la menace de la faillite afin d’imposer aux Grecs les mesures de la Troïka.
Il s’agissait aussi de donner le temps nécessaire aux banques européennes de se débarrasser de leurs « actifs toxiques » que sont devenues les obligations grecques, désormais détenues en grande partie par la BCE. Une fois que le risque systémique pour la sphère financière a semblé s’éloigner, la sentence finale pour la Grèce a pu être prononcée.
La thérapie de choc en Europe
Cette sentence, accompagnant la restructuration de la dette, consiste en une application radicale des préceptes économiques néolibéraux jusqu’au moins 2020 : privatisations tous azimuts, vente du domaine public aux investisseurs privés, licenciements massifs de fonctionnaires, dérèglementation du marché du travail avec suppression des conventions collectives, abaissement généralisé des salaires dans le public et le privé – ce que les économistes appellent élégamment une « dévaluation interne ».
C’est La stratégie du choc, décrite par Naomi Klein (Actes Sud, 2008) : la dette est utilisée pour provoquer un choc psychologique permettant l’application des recettes néolibérales.
Tout cela pour que la dette revienne en 2020 au même niveau qu’en… 2009 ! Les conséquences de cette politique se font – elles – déjà sentir : dégradation du service public, baisse continuelle des revenus, chômage de masse, poids insupportable des impôts, obligation de desservir auprès des banques les prêts obtenus avant la crise.
L’incapacité de supporter l’ensemble de ces dépenses va amener les ménages à se défaire de leurs maisons, terrains, et autres biens à des prix dérisoires.
Tout cela détériore peu à peu la santé mentale et physique des Grecs les plus démunis (3), détruit le lien social, met à l’épreuve les familles et exacerbe la violence sociale. L’hiver 2011-2012 s’annonce rude. Les politiques actuelles conduisent une grande partie de la population à la marginalisation et la pauvreté (4).
L’école est l’un des premiers services publics à souffrir. Cette année, les élèves n’ont pas reçu de livres pour la rentrée mais des photocopies de piètre qualité. Selon les syndicats d’enseignants du public, les incidents en classe, dus aux difficultés des familles, ne cessent de se multiplier.
Les enseignants eux mêmes subissent des coupes dans leurs salaires déjà bas. Et la menace du chômage technique, puis du licenciement pur et simple est brandie par la Troïka et le gouvernement.
Tutelle au lieu de démocratie
Lors de l’accord du 26 octobre le gouvernement grec a accepté aussi que l’application stricte de ce programme soit supervisée par les représentants de la Commission européenne, du FMI et de la BCE.
Aucune décision de nature économique ou sociale ne pourra être prise par le gouvernement élu sans l’aval de ces instances. L’adoption des mesures comme la fameuse « règle d’or » par la Grèce, c’est à dire l’interdiction de présenter un budget déficitaire, est d’ores et déjà acquise sans faire l’objet du moindre débat.
Les mesures économiques socialement injustes sont ainsi accompagnées par des humiliations politiques répétées et par un déni pur et simple de démocratie.
Le plan de Bruxelles ne prévoit aucune possibilité pour les citoyens Grecs d’avoir une réelle prise sur leur destin collectif. Au delà de son confort matériel et son pouvoir d’achat, le peuple grec est en train de perdre sa dignité.
La Grèce comme laboratoire
Les manifestations massives des Grecs indignés par l’avenir de leur pays n’y font rien. La répression est à chaque fois au rendez-vous, facilitée par des provocateurs dont l’origine et les motivations restent obscures.
La violence policière est tellement systématique envers les manifestants pacifiques, mais aussi les journalistes, qu’elle semble avoir un objectif inavoué : casser le moral de ceux qui participent activement au mouvement social et effrayer ceux qui hésitent.
Cependant, malgré ses particularités – répétées avec délectation par les médias européens – le cas grec n’est pas isolé. C’est un scénario futur crédible pour beaucoup de pays européens, au premier rang desquels la France.
La méthode avec laquelle la contrainte de la dette se transforme en politique économique est amenée à se reproduire ailleurs. D’ores et déjà, l’Italie connaît le début du même film. Et les agences de notation s’immiscent de manière à peine dissimulée dans la politique française en rappelant au candidat du Parti socialiste les limites à ne pas dépasser.
Si il y a une leçon à tirer du cas grec, c’est la confirmation que désormais, face à de tels adversaires, les mouvements sociaux isolés au niveau d’un seul pays ne suffisent plus. Un projet politique alternatif à l’échelle de l’Europe et un mouvement social international le soutenant sont plus que jamais nécessaires. ●
Nikos Smyrnaios,
2 Novembre 2011, maître de conférence
à l’université Toulouse 3
1) http://www.la-croix.com/Semaine-en-images/Un-mort-a-l-issue-de-manifestations-violentes-a-Athenes-_NG_-2011-10-20-725661
2) http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finances-marches/actu/0201715168230-grece-un-haircut-severe-pour-les-banques-domestiques-240151.php
3) http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/10/10/la-crise-une-tragedie-pour-la-sante-des-grecs_1584798_3214.html
4) http://fr.myeurop.info/2011/05/12/la-grece-un-pays-en-desesperance-2416