Gestation pour autrui : votre polichinelle dans mon tiroir…

La nécessité de revoir les lois de bioéthique en 2011
aura eu l’avantage de permettre aux féministes
de s’inviter dans le débat concernant la Gestation
Pour Autrui, expression fleurie, utilisée aujourd’hui
pour parler des mères porteuses.

A l’instar de tous les débats qui touchent au corps des femmes (la prostitution notamment), celui ci oppose les tenant-es de la légalisation et l’encadrement de pratiques réelles et soi-disant « inévitables », à celles et ceux qui ne veulent pas entériner des situations créées d’abord par la situation économique, sociale et politique de nos territoires.

Le débat sur la gestation pour autrui a donc rejailli, cette fois sur le terrain du droit des femmes à disposer, ou non, de leur corps et donc à s’engager au service d’un tiers qui aurait « passé commande ».

Utérus sans femme ?

Certains comparent la gestation pour autrui (expression dans laquelle la femme porteuse est désincarnée, inexistante) au don d’organes (uniquement après la mort, sauf dans des cas exceptionnels), de lait, de sang, de sperme ou d’ovocytes. Faut-il rappeler que la grossesse (terme souvent absent de toutes les contributions en faveur de la GPA), sans être une maladie n’est pas sans risques pour la femme qui la vit, qu’elle se déroule dans le corps de quelqu’une pendant neuf mois et qu’elle peut avoir des conséquences au delà de cette période ? Que les congés pré et post nataux ne sont pas des coquetteries juridiques. Qu’une grossesse, si elle n’engage pas forcément une relation mère-enfant est « un état qui envahit et transforme le corps des femmes »(1).

Qu’est-ce qui envahit le corps d’un donneur de sang ? Quels sont les efforts qui lui sont demandés ? Quels sont les risques qu’il encourt ? L’utilisation de l’utérus de la « gestatrice » serait donc sans danger pour elle ?

Un droit à disposer
du corps de l’autre

« Nul besoin d’avoir un diplôme en féminisme pour savoir que l’objectif premier du patriarcat est de sécuriser l’appropriation et le contrôle du corps des femmes, en matière de sexualité comme de reproduction »(2).

Pourquoi les débats intimement liés au rapport des femmes à leur corps se posent-ils si facilement (prostitution, gestation pour autrui) alors que ceux qui concerneraient les deux sexes – donc aussi les hommes – ne sont même pas soumis au débat ? Parallèlement au débat sur la GPA, aucun n’émerge sur la possibilité d’une vente d’organes organisée par les institutions, cela paraîtrait même impensable ! Il n’est pas question de prôner la marchandisation de tous les corps au nom de l’égalité mais ici d’appuyer sur une réalité : c’est souvent le corps des femmes qui est en jeu et plus particulièrement sur ce qui leur est physiquement propre, leur sexe. Les enfants, même lors d’une GPA, naissent en général en passant par le sexe de la mère qui les a portés, la prostitution fait du sexe des femmes une marchandise comme une autre.
La loi définit une « indisponibilité du corps humain » : notre corps nous appartient. A travers quelques recherches, c’est la définition donnée par des évêques travaillant sur les questions de bioéthique qui exprime le mieux ce concept : « L’existence du principe d’indisponibilité du corps humain traduit la prise en compte, par la législation française, d’une vision « personnificatrice » du corps évitant de le réduire à un gisement de ressources biologiques librement cessibles »(3).

Ce n’est pas tous les jours que nous aurons ce genre de référence, rassurons nos lectrices et lecteurs…

Ce qui dérange dans le débat sur la GPA, c’est qu’il remet en cause ce principe concernant uniquement une partie d’un corps, celui des femmes. « Dès lors, le rôle du législateur est-il simplement de moraliser le marché ? N’est-il pas aussi de délimiter le champ du marché, de dire ce qui n’est pas cessible, ce qui échappe par nature à toute forme de transaction ? »(4).

Parentalité, filiation, adoption…

On sait le parcours des couples hétérosexuels souhaitant adopter, on ne connaît pas encore celui des homosexuels qui lui ressemblerait fortement sans doute, avec peut être plus d’embûches d’ailleurs. La parentalité pour un couple ou un individu qui ne peut pas avoir d’enfant est, parfois, un désir si puissant qu’elle devient un objectif à atteindre coûte que coûte, quel qu’en soit le prix. Dans le débat sur la GPA, c’est la question de la parenté biologique qui est sous-jacente malgré les affirmations de ses partisan-es.

« Voilà bien longtemps que les liens sociaux priment sur les liens biologiques. Parenté et filiation n’ont rien de naturel, ce sont des liens institués. Ce ne sont pas les liens génétiques mais la manifestation de la volonté d’être parent, l’engagement irrévocable, et la réalité d’une vie de famille qui font d’une personne un parent. Ce n’est pas le fait de porter un enfant qui fait d’une femme la mère de cet enfant, mais le fait de le vouloir, de s’engager à l’élever et de s’y préparer »(5). Cette tribune du Monde en faveur de l’encadrement de la GPA évoque bien une conception de la parentalité liée à l’éducation des enfants, une relation cons­truite. Nombre d’enfants naissent sans avoir été désirés et leurs mères ne sont pas des demi-mères pour autant, car, effectivement, on devient mère ou père quand on élève un enfant. Si « parenté et filiation » n’ont rien de naturel, pourquoi dès lors, souhaiter à tout prix qu’une femme porte les gamètes d’un des partenaires du couple, pourquoi ne pas plutôt se battre pour des procédures d’adoption plus simples, ouvertes aux couples non hétérosexuels, aux personnes seules ?

« Il serait d’ailleurs temps que la question de l’adoption devienne un véritable sujet de société et que les nécessaires évolutions, en France mais aussi au plan international, soient défendues avec autant de conviction que la GPA »(6). Dans une note pour Terra Nova, Genevière Delaisi de Parseval, psychanalyste, caractérise la GPA de « lien parental moderne, tissé de la volonté de parents d’intention et de l’apport des forces procréatives de tierces personnes, le tout sur fond de projet parental, de volonté et de responsabilité éducative. ». L’adoption d’un enfant né sous X n’est pour l’instant rien d’autre que cela, sauf que la naissance de cet enfant n’est pas « commandée ». Et c’est justement cette notion de « commande », de « location », d’expropriation du corps des femmes qui fait de la GPA une pratique intrinsèquement marchande.

Cette notion de filiation à tout prix, de transmission du patrimoine génétique est à revoir socialement. Les revendications d’adoption pour les couples homosexuels restent sans réponse et on ne lit pas de tribune dans Le Monde en leur faveur.

« La société […] ne peut-elle pas aussi accompagner des personnes pour qu’elles sachent accepter la blessure de ne pas pouvoir avoir d’enfant plutôt que coûte que coûte leur trouver les voies et les moyens d’en avoir ? ». Le désir d’enfant ne peut être celui d’enfantement, l’utilisation du corps d’une autre ne pourra jamais compenser l’incapacité du sien.

Mon corps, mes désirs…

Le seul droit pour lequel les femmes ne se sont jamais battues est celui de faire des enfants. Effectivement, la « gestation » leur est propre et pour l’instant, elles peuvent dans une grande majorité choisir son moment. La GPA remet terriblement en cause cette liberté « gratuite ».

« A moins que certains hommes, terrifiés de cet avantage qu’ont des femmes de se faire inséminer (et d’avoir une parente qui n’a aucun droit, bel avantage…) y entrevoient enfin de reprendre ce contrôle du corps des femmes qu’ils jalousent depuis des millénaires, mais que les luttes du féminisme, la contraception et le droit à l’avortement leur ont ôté »(7).

« Il s’agit de rappeler que tant qu’on pourra acheter, louer ou vendre le corps des femmes, l’égalité entre les sexes demeurera inaccessible »(8). ●

Ingrid Darroman

1) Laurence Rossignol, Pourquoi je suis opposée
à la levée de l’interdiction des mères porteuses,
Rue 89, 5 Octobre 2010.

2) Christine Le Doaré, La gestation pour autrui est-elle la réponse au désir d’enfant des homosexuel-les ? www.egalite-infos.fr

3) Bioéthique, propos pour un dialogue,
de Mgr Pierre d’Ornellas et les évêques du groupe
de travail sur la bioéthique, DDB, février 2009.

4) L’hebdo des socialistes n°536, Pouria Amirshahi.

5) « Gestation pour autrui :
un cadre contre les dérives », Le Monde, Avril 2011.

6) Christine Le Doaré.

7) Sandrine Goldschmidt, http://sandrine70.wordpress.com

8) Laurence Rossignol.