Mars 2010 : Jean Louis Borloo, alors ministre de l’écologie, accorde dans la plus stricte discrétion des permis de recherche et d’exploitation sur près de 10 000 km2 dans un triangle Montélimar-Montpellier-Cévennes. Il faut plusieurs mois
pour que prennent conscience populations et élus, soigneusement tenus
dans l’ignorance des enjeux de ce nouvel eldorado énergétique.
Mais la mobilisation prend comme une traînée de poudre et, en février 2011, 18 000 personnes manifestent contre les gaz de schiste à Villeneuve de Berg
en Ardèche. Depuis, le gouvernement s’est senti obligé de diligenter une mission d’inspection. Une proposition de loi, en débat au parlement, imposerait
aux pétroliers titulaires des permis de déclarer sous deux mois leur technique d’exploitation. Mais ces manœuvres relèvent de l’enfumage.
L’affaire n’est pas de petite importance : en France, les hydrocarbures non conventionnels (sables bitumineux, gaz et huiles de schiste) représenteraient 60 milliards de barils de pétrole dans le bassin parisien et 5 000 milliards m3 de gaz dans le Midi, soit un quart des ressources européennes. A l’échelle mondiale les réserves de gaz de schiste sont 5 fois supérieures à celles de gaz conventionnels et permettraient aux pays qui les exploiteraient de gagner leur indépendance énergétique vis-à-vis des exportateurs de gaz que sont les états du Golfe et surtout la Russie. Les Etats-Unis sont, sans surprise, pionniers en la matière : l’exploitation des ressources non conventionnelles représente désormais la moitié de la production du pays.
Cachez ce sein
que je ne saurais voir…
La fracturation hydraulique est à ce jour le seul procédé connu pour extraire une quantité rentable de gaz coincé dans un mille feuilles sédimentaire. Les ravages écologiques et sanitaires de cette méthode ne sont plus à démontrer et, de ce point de vue, le documentaire GasLand a fait œuvre utile. Mais la stratégie actuelle du gouvernement, derrière le moratoire sur la fracturation hydraulique, consiste à sauver l’essentiel : la possibilité d’exploiter à grande échelle ces ressources phénoménales. François Fillon a ainsi souligné mi-avril à propos de la proposition de loi qu’il n’était pas question « de fermer la porte à des progrès technologiques qui permettraient demain d’accéder à de nouvelles ressources énergétiques ». Les industriels ne s’y trompent d’ailleurs pas : Christophe de Margerie, PDG de Total, déclarait après le passage de la loi à l’Assemblée nationale : « Il faut rester calme et low profile, on reviendra sur la scène plus tard (…) pour expliquer qu’on peut travailler sur les gaz de schiste de manière propre. »
L’industrie française, c’est quand même autre chose que les Américains et les Japonais : nous, on fait du gaz de schiste propre et du nucléaire sûr…
Le choix énergétique
au cœur du débat
N’en déplaise à la CGT mine énergie, le problème ne se réduit pas à la méthode d’exploitation, ni au statut de l’exploitant. La question posée est bien celle des choix énergétiques à long terme pour quel modèle de développement. Dans leur communiqué commun, les Amis de la Terre, Greenpeace et Réseau action climat soulignent : « Selon le Potsdam Institute for Climate Impact Research, si l’on veut éviter le pire et contenir le réchauffement global moyen bien en deçà de 2°C d’ici la fin du siècle, moins d’un quart des réserves prouvées en fossiles (pétrole, gaz et charbon) peuvent être utilisées d’ici à 2050 ! L’exploitation de ces ressources représenterait par ailleurs un frein puissant au développement des énergies renouvelables. Selon Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie, le boum du gaz de schiste a déjà causé une baisse de 50 % des investissements dans les énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien aux États-Unis ! »
Or il n’en va pas autrement en France où les filières comme l’éolien, le solaire et le biogaz sont victimes d’une législation très restrictive, d’un manque de clarté et de continuité dans l’orientation stratégique. Une des premières décisions du nouveau gouvernement a été d’imposer un moratoire du tarif subventionné pour le solaire. En parallèle, une stratégie de relance de l’industrie des hydrocarbures était établie de longue date, notamment par l’accord pour des permis d’exploration pour des gaz de schiste sur pratiquement un dixième du territoire métropolitain.
On voit bien qu’au-delà des beaux discours grenelliens de nos tartuffes gouvernementaux, la stratégie de l’État est bien de limiter au maximum l’expansion rapide des nouvelles filières de l’énergie, non maîtrisées par le lobby industriel national, pour ouvrir grandes les portes au nouveau rebond des énergies pétrolières et gazières, porté par nos fameux « fleurons industriels » que sont Total et GDF-Suez. Autant dire que la bataille contre l’exploitation des gaz de schiste ne fait que commencer. ●
Marie Cécile Perillat
Pour plus d’informations, on peut consulter les sites suivants :
http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schiste-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/
http://www.bastamag.net/article1330.html