Le FSM de Tunis a été marqué par son dynamisme, lié à l’intensité
des mouvements et des débats politiques actuelle en Tunisie.
L’état du « printemps arabe » a été au coeur de nombreuses discussions bien sur, mais les sujets abordés ont été particulièrement riches
avec, entre autres, une large place faite à la critique du néo-libéralisme,
aux droits des femmes et aux enjeux écologiques.
Par la présence relativement faible des Européens, il a également illustré l’affaiblissement
du mouvement alter-mondialiste dans notre région alors que nous devons affronter
une crise majeure du capitalisme. Il pose des questions sur nos capacités
et nos stratégies de mobilisations.
La dernière session du Forum social mondial (FSM) s’est tenue à Tunis du 26 au 30 mars dernier. Placé sous le signe de la « Dignité » qui en fut le slogan permanent, ce fut un vrai événement social et politique. Tout d’abord ce fut un vrai succès de participation : 50 000 participants, entre 3 000 et 4 000 activités, une réussite par la qualité de son organisation, grâce notamment aux jeunes volontaires tunisiens, à un lieu adapté (très grand campus universitaire), avec de nombreuses salles, de moyens techniques (médias, traductions par émetteurs FM fabriqués par une coopérative tunisienne, réseau Babel d’interprètes volontaires,…). La qualité de ses débats et de sa dynamique générale, marquée par une forte participation des mouvements de jeunes (étudiants tunisiens, Occupy Wall Street, Indignés, etc.), ont fortement pesé.
Mobilisation tunisienne
et dynamique nouvelle
Selon Alaa Talbi, membre du comité d’organisation du FSM, « sur les 4 000 organisations inscrites, 1 100 sont tunisiennes, réparties sur tout le territoire. Nous avons là une société civile au pluriel, sur le plan des thématiques et des couleurs. »
Même si le FSM et le mouvement altermondialiste ont perdu de leur force de propulsion, cet évènement fut incontestablement un moment politique d’échanges, de rencontres avec la jeunesse et les forces progressistes tunisiennes, de jonction entre le processus révolutionnaire tunisien et le mouvement altermondialiste, même affaibli. Ce FSM a confirmé que lorsqu’il se tient dans un contexte politique et social intense, il se nourrit de sa dynamique, offre un cadre utile à ses participants internationaux et aux acteurs des luttes locales.
Le choix de tenir un FSM dans un pays qui connaît un processus révolutionnaire a permis une dynamique nouvelle qui pourrait et devrait inspirer les mouvements européens, en pleine crise.
Le Forum s’est ouvert avec l’Assemblée des femmes qui a fait salle comble et a donné une tonalité d’emblée pleine d’enthousiasme et de verve. Ahlem Belhadj, présidente de l’association tunisienne des femmes démocrates a souligné l’importance de la solidarité internationale : « les femmes ont besoin de lutter ensemble contre le front monétaire internationale et la banque mondiale » .
Le rejet d’un système économique ultra-libéral a inspiré aussi les slogans qui ont rythmé la grande marche d’ouverture du Forum rassemblant environ 15 000 manifestants.
D’une façon plus générale, ce FSM a d’ailleurs permis de pointer la question libérale, comme critère de jugement central sur les forces politiques issues du « printemps arabe » .
Les peuples de la grande région Maghreb/Machrek sont sévèrement affectés par la crise qui s’approfondit dans les pays du centre de l’économie mondiale. Certains, comme la Tunisie dont l’économie de sous-traitance dépend largement du tourisme européen, sont laminés par le chômage, la pauvreté et les inégalités qui explosent.
On a pu voir aussi comment le processus révolutionnaire crée des situations difficiles pour les forces progressistes de ce pays : les attaques subies par la UGTT dans son siège central en décembre et l’assassinat de Chokri Belais en février en étant deux exemples.
La place de la justice climatique
Au-delà des débats sur le « Printemps Arabe », auquel ont été consacrés de nombreux séminaires et activités, donnant à voir et entendre un mouvement et une gauche sociale et politique déterminés, qui cherchent à construire une unité, d’autres thématiques ont eu une centralité particulière.
Les luttes féministes, les discussions sur la démocratie, la dette et la justice globale étaient au cœur des débats. Mais aussi le mouvement international pour la justice climatique avec un « Espace Climat » au sein du FSM afin de discuter de ses stratégies à venir, des convergences et des perspectives.
Cet espace climat a constitué une avancée considérable selon Maxime Combes, membre d’Attac France et un des principaux animateurs de cet espace : « La tenue et la réussite de l’Espace climat au sein du FSM de Tunis démontre que le climat ne doit plus être seulement l’affaire des négociations de l’ONU. A Tunis, les GCF, MRV, CDM et autres acronymes et technicités incompréhensibles sont restés au placard pour laisser place à l’essentiel : revoir de fond en comble nos modèles de production et de consommation en laissant l’essentiel des réserves prouvées d’énergies fossiles dans le sol. Comme cela a été dit lors de l’Assemblée de convergence : “ la bataille principale se situe en dehors des négociations internationales sur le climat, et elle est plutôt ancrée dans les lieux où se déroulent les luttes contre l’exploitation de pétrole, de gaz, de minerais, contre l’agriculture industrielle, la déforestation, la pollution industrielle, la compensation carbone et les projets REDD, l’accaparement des terres et les déplacements de population ” ».
Un FSM marqué par les tensions régionales
Evidemment, le FSM, parce qu’il rassemble toutes sortes de forces, de régions, connaît aussi en son sein des conflits qui n’ont pas toujours été faciles à gérer. Ce FSM a été particulièrement influencé par la géopolitique régionale. Il a cristallisé toutes les tensions politiques actuelles du Maghreb et du Machrek : la présence de Syriens pro-Assad par exemple (qui se sont attaqués aux opposants), des Marocains opposés à l’auto-détermination des Sahraouis. La question de la Palestine fut une préoccupation centrale de nombreux débats et c’est elle qui fut le thème de la marche de clôture de l’événement. Il y eut aussi bien sûr des débats ardus aussi sur la question de la laïcité.
La présence des Européens, et en particulier des Grecs, était limitée et on sent que le mouvement en Europe est faible, en grande difficulté au moment où il s’affronte à une crise sans précédent.
Le succès du FSM peut-il avoir un effet au niveau européen
Ce FSM montre que, même si le Forum n’est plus la référence internationale de lutte contre les politiques néolibérales comme il le fut les premières années, il apparaît comme un événement utile pour les rencontres militantes dans la région et comme un espace de rencontre entre mouvements des différents continents et réseaux de solidarités.
À l’heure actuelle, il n’est pas possible de dire ce que le Forum produira en termes de renforcement des liens entre les mouvements de la région.
Sur la scène internationale, il y a eu bien sûr des déclarations/appels des différents réseaux pour montrer leur engagement dans le combat pour les droits sociaux, économiques et politique ou en solidarité avec les révolutions arabes ou la Palestine, mais il faut constater qu’il n’y a pas eu des avancées concrètes concernant à la mise en route des initiatives de mobilisation.
Reste toujours la nécessité de réfléchir aux suites à donner à l’énergie qui se mobilise autour de ces rencontres, mais la réponse n’est pas évidente. Peut-être parce qu’il manque des initiatives par en bas, au niveau local, national ou même continental ?
De ce point de vue, les défis auxquels fait face le mouvement altermondialiste sont de taille : comment organiser des mobilisations concrètes ? Comment s’appuyer sur les résistances réelles – mais très inégales – qui existent localement ? Comment imposer des victoires mais aussi peut être plus modestement se mobiliser pour organiser de la solidarité internationale concrète face à des situations d’urgence ?
La dynamique sociale se situe aujourd’hui dans le monde arabe et aussi d’une certaine façon en Europe avec les nouveaux mouvements, Indignés, Occupy… Le défi consiste à avancer vers une coordination indispensable, une convergence des résistances qui soit capable d’affronter la barbarie capitaliste. ●
Sophie Zafari