Dans cette année d’élection présidentielle, Marine Le Pen ferraille
dur pour renouveler l’image du FN et en faire un parti de gouvernement. Ainsi, elle s’intéresse au gâteau électoral que représentent enseignant-es
et parents d’élèves. C’est donc l’occasion pour nous d’une plongée
dans le cartable poussiéreux mais chargé de l’extrême droite sur le terrain scolaire. Plongée historique dans ce numéro. Plongée dans le programme
et les pratiques du FN à venir…
« L’école va mal. Très mal »(1). Avec les trémolos d’un Roger Gicquel, Marine Le Pen dresse un tableau – très noir ! – de l’état de l’Éducation nationale qui ne va pas sans rappeler l’interminable cohorte d’insultes dont la République et son école ont fait l’objet de la part des milieux réactionnaires depuis un siècle et demi.
Inscrivant leur discours dans la lignée contre- révolutionnaire d’un Joseph de Maistre, les opposants à l’école « gratuite », « laïque » et « obligatoire » vont dès sa naissance s’acharner sur cette machine monstrueuse engendrée par Jules Ferry.
Laïque…
Monstrueuse tout d’abord parce que « laïque », elle prive familles et église de cette éducation qui leur revient. Éloignant l’enfant du divin, elle vise à façonner tour à tour des petits sans culottes, puis des marxistes et donc immanquablement à grossir les rangs de la criminalité. Sans divin, point de morale : cette école est alors celle de la décadence depuis 150 ans et la filiation entre la laïcité fin XIXe et « la perversion des attouchements pédagogiques de l’INRP »(2) est toute tracée.
Inéluctablement, pour Jean-Marie Le Pen, « la préoccupation première d’une société pleinement humaine est d’éduquer la jeunesse, de lui inculquer le sens de son devoir […] permettant de libérer l’individu des passions néfastes pour qu’il puisse, en toute liberté, obéir aux principes divins »(3).
Gratuite et obligatoire en plus…
Monstrueuse ensuite parce que « gratuite » et « obligatoire : « L’enfant n’est plus au père désormais, il est à ce monstre aux cent gueules, qui n’a pas de coeur : l’État ». Un siècle plus tard, Jean-Marie Le Pen qualifiera bien évidemment l’éducation de la prime enfance d’« orwellisation »(3).
Comme il est difficile de défendre l’idée selon laquelle un peuple puisse être heureux « rotant tout seul dans sa mangeoire », l’extrême droite va développer la thèse des vertus de l’imbécillité heureuse. Instruire le peuple, c’est le priver de ces joies simples que lui procure la terre pour le précipiter dans l’inconnu des études supérieures qui le mèneront au crime. C’est surtout bouleverser l’« ordre naturel des choses ». Admirateurs de Maurras, les Cahiers du cercle Fustel de Coulanges(4) n’auront de cesse dans les années 1930 de concentrer leurs tirs sur cette école honnie et son principal promoteur de l’époque, Jean Zay(5). L’acharnement de ces braves gens se verra récompensé : plusieurs d’entre eux seront ministres de l’Éducation nationale de Pétain et le 15 août 1941, la loi s’attaque enfin à cette gratuité « immorale et scandaleuse » et fait en sorte que l’école secondaire ne soit plus encombrée « d’éléments parasitaires, inaptes aux études classiques »(6).
Monstrueuse enfin parce qu’aux mains des « rouges ». Un spectre hante l’Éduc’ nat’ : le communisme ! Dénichant le bolcho jusqu’au fond des cartables, l’extrême droite ne tarit pas de métaphores « socialisantes » : « Cambodge de la culture », « enseignement soviétisé », « mur de Berlin de l’éducation », « syndicats marxisants »… Pour Pétain, la chose est entendue dès juillet 1940 : si la France a perdu la guerre, c’est parce que les officiers de réserve avaient eu des maîtres socialistes !
Conséquence : une éducation j’m’en foutiste mais partisane qui comme nous l’avons vu fait fi de la morale et mène immanquablement à l’illettrisme mais également à l’égalitarisme, au droit d’l’hommisme, à la décadence et… à la luxure !
Depuis un siècle et demi, monarchistes, pétainistes et tout ce que la droite compte de réactionnaires et d’extrêmes se sont montrés particulièrement prolixes dans le domaine d’une éducation qui n’a jamais trouvé la moindre grâce à leurs yeux, tant elle est aux mains de cette « armée rouge » hexagonale que constitue l’Éducation nationale. Marine Le Pen semble néanmoins s’étonner de cette rupture existant entre « un corps enseignant » et son parti « pourtant faits pour s’entendre »… ●
A suivre…
Clara Wood
1) Marine Le Pen, Refonder l’école,
11 novembre 2009, site du FN.
2) Sauf mention contraire, toutes les citations
sont extraites de l’ouvrage fort documenté
de Jean-Michel Barreau L’extrême droite,
l’école et la République, 2003 Éditions Syllepse.
3) Jean-Marie Le Pen, Itinéraires, « L’école pour quoi faire ? », n°19, été 1993.
4) Proche de l’Action française, cette association créée en 1928 rassemble des enseignants, des chefs militaires, des intellectuels… et milite activement contre l’école publique.
5) « Je vous Zay » écrivait Céline pour évoquer le ministre. Cité par Paxton in La France de Vichy, 1973.
6) Les documents français, Loi du 15 août 1941.