Benoît Hamon, alors ministre de l’EN, avait prévu de tenir un chantier d’envergure durant toute l’année 2014 : celui de l’évaluation des élèves, qu’il disait vouloir positive et bienveillante – ce qui laisse entendre,
en creux, qu’elle est violente.
Le sujet est vaste et complexe, une analyse exhaustive quasi impossible.
Néanmoins, il est intéressant d’aborder la réflexion en confrontant nos pratiques et perceptions, différentes du premier au second degré. C’est ce à quoi nous nous sommes essayé-es, sous forme de conversation inachevée. Et si la question de l’évaluation est passionnante et importante à plus d’un titre, notons tout de même qu’elle ne saurait à elle seule résoudre tous les problèmes de l’école, et encore moins de la société.
Le changement de forme d’évaluation est problématique, entre le premier et le second degré ; on accueille des élèves en 6e qui arrivent convaincu-es qu’ils étaient « bons » en CM2.
Lors des premières évaluations chiffrées, l’élève « reçoit » une note qui le surprend (les parents disent qu’ils ne comprennent pas, que l’enfant avait une appréciation plutôt moyenne et qu’au collège, il ou elle a 8/20…).
En fait, le collège, c’est « la vérité des prix » pour l’élève, c’est très violent. Comment expliquer cet écart ?
Dans le premier degré, on vise à dire ce qui est réellement appris par l’élève. D’où, souvent, des listes de savoirs ou de compétences évaluées en acquis, en cours d’acquisition et non acquis, avec un code (couleur ou autre).
L’objectif est que l’élève, ses parents ou les enseignant-es futur-es sachent précisément ce qui est su (ou pas). L’avantage est dans l’explicitation de ce qui est enseigné, l’inconvénient est la vision parcellaire, parfois à l’extrême, de ce qui est ainsi décrit.
À l’inverse, la notation chiffrée ne dit rien de ce que l’élève sait, ou sait faire. Comment une note sur une échelle peut-elle montrer ça ?
**Évaluation globale ou parcellaire
La note intervient pour mesurer ce qui est acquis dans son ensemble ; le ou la prof met en place des activités en classe, des devoirs à la maison (parfois évalués, mais pas systématiquement) pour que l’élève soit à même de mobiliser tous ses acquis pour l’évaluation.
Il y a donc bien également dans le second degré des tâches parcellaires, des étapes dans le processus d’apprentissage, mais c’est la notion globale qui est visée. La note chiffrée donne une idée du niveau obtenu, elle permet de mesurer si l’élève a acquis les connaissances dans leur ensemble, sans faire le détail de ce qui est maîtrisé.
La diversité de ce qui est évalué (ex : en français, on trouvera des points d’orthographe, de compréhension et d’expression écrite dans une même évaluation finale) permet à l’élève de compenser des points faibles par d’autres, et ainsi de « se rattraper ».
On peut dire que cette somme donne le niveau de l’élève. Et c’est vrai que cette note ne montre pas précisément ce qu’il/elle sait ou ne sait pas : mais lui et sa famille s’en soucient-ils vraiment ?
Dans ce système sélectif, la moyenne de l’élève est bien souvent l’indicateur de son orientation future, et donc ce qui importe. C’est regrettable, mais c’est un fait. Alors que pour le ou la prof, l’évaluation sert avant tout à faire apprendre, à susciter la motivation aussi, pas à trier…
C’est toute la contradiction que le primaire essaye de résoudre : remettre la motivation dans l’acte d’apprendre plus que dans le résultat lui-même.
Ce sont les mouvements pédagogiques progressistes qui ont montré la voie en pratiquant très tôt l’auto-évaluation : l’élève lui-même est capable de dire, par exemple, s’il ou elle sait réaliser une addition sans que l’enseignant-e ait besoin d’un exercice formel pour le montrer.
L’élève peut alors prendre conscience du processus d’apprentissage : « je ne sais pas – je réalise des tâches qui me permettent d’apprendre – je sais… ».
C’est un peu simpliste, mais c’est une formidable motivation. Bien sûr, l’école primaire agit sur une phase de la croissance de l’enfant qui le met à l’abri des remous de l’adolescence ; et surtout, elle se situe, aujourd’hui, bien en amont de la fin de la scolarité obligatoire ou du diplôme de fin d’études secondaires – diplôme national qu’il faut bien sûr préserver dans l’état actuel de la société et du marché du travail…
Ce qui laisse beaucoup de latitude : moins de pression sociale, plus de confiance…. Peut-être faudrait-il alors réfléchir à des procédures qui permettent aux élèves de se préparer à une nouvelle forme d’évaluation qui rende la transition moins violente.
**Émulation, compétition, sélection
Le paradoxe, c’est que l’évaluation procure une forme de motivation, mais génère aussi la compétition et la pression qui l’accompagne.
L’émulation peut être un moteur positif, mais la compétition peut aussi être le frein à l’apprentissage car dans le contexte d’une école sélective, elle fait avant tout émerger les perdant-es de l’école, qui seront aussi les grands perdants de la société.
Les élèves le savent, très tôt. Et un-e élève qui reçoit un résultat très mauvais (chiffré ou non, le message est le même) est disqualifié-e… si l’expérience se reproduit, se répète, alors il ou elle se décourage et décroche.
Et à ce stade, l’enseignant-e ne parvient plus à trouver les ressorts de la motivation pour l’élève, il/elle ne sait pas faire (la formation pédagogique, initiale et continue, est indigente dans le second degré).
Le constat est amer, tout le monde est en souffrance, l’élève qui subit une évaluation qui grève l’estime de soi, les prof-es qui sont impuissant-es à le faire réussir.
L’éviction (en apprentissage, en dispositif relais) se présente alors comme la seule solution, comme si l’école ne pouvait rien, en son sein, pour les élèves en difficulté : nous disons évidemment le contraire.
Il y a aussi un autre paradoxe d’importance : si nous tentons, de façon légitime, de mettre sur pied une évaluation moins violente, qui préserve l’estime de soi, et garde intacte la motivation, et cela dans le but d’aider l’élève à apprendre… comment arriverons-nous à concilier les résultats obtenus avec la violence du système scolaire quand il opère un tri et une sélection sans nuances à la fin de la scolarité obligatoire ?
Car enfin, en sortant de troisième, le destin scolaire des élèves est tracé sans détour…
Il l’est malheureusement bien avant ! Toutes les études le montrent : le système scolaire français est des plus inégalitaires, il renforce même les inégalités sociales.
Mais, même dans ses pratiques quotidiennes, dès la maternelle, l’école stigmatise ses « perdant-es ». Ceux-ci le ressentent très bien, leurs petits camarades aussi : ils et elles sont ensemble, toujours dans le même groupe avec la maîtresse ; ils ou elles manquent la séance d’arts plastiques pour travailler avec le maître « d’aide » qui s’occupe aussi d’eux dans la classe quand il y est…
Les réformes de ces dernières années l’ont même fait prendre « en charge » hors l’école.
Plus grave, dans le cadre d’une évaluation bienveillante, ce sont ces élèves qui accumulent les bonshommes pas contents ou les feux rouges !
Il y a là un dilemme quotidien pour l’enseignant-e progressiste : mettre en avant les points positifs, les progrès, place l’élève dans une position psychologiquement plus confortable pour affronter les processus, forcément déstabilisants, d’apprentissage ; mais ne l’arme pas pour affronter une société fortement hiérarchisée dans laquelle sa place est déjà réservée tout en bas.
Il lui faudra se battre, individuellement et, espérons-le, collectivement… ●
Jérôme Falicon
Véronique Ponvert