Depuis le 15 mai dernier, des manifestations à Madrid
et dans beaucoup d’autres villes de l’État espagnol ont exprimé
avec force ce mot d’ordre : « Nous ne voulons pas être une marchandise dans les mains des politiques et des banquiers ».
Avec la « Puerta del Sol » comme lieu symbolique de référence,
de prise de l’espace publique et de la parole, ces manifestations
ont donné naissance à un nouveau cycle de mobilisations et surtout
à un nouveau mouvement de révolte et d’indignation populaire
atteignant une portée internationale tout à fait imprévue.
Cette mobilisation est née, notamment, des réseaux sociaux d’internet. Elle a comme protagoniste une jeunesse « sans avenir » (il faut rappeler, par exemple, qu’environ 4 jeunes sur 10 sont au chômage) mais aussi « sans peur », comme elle l’a démontré dans ces manifestations. Mais cette explosion de mécontentement, d’enthousiasme collectif et de sentiment de force a aussi touché des personnes d’autres générations et compte avec la sympathie de la majorité de la population selon les récents sondages. Le degré d’auto-organisation, l’extension territoriale atteints, les débats continus lors des assemblées, la volonté de rechercher un consensus autour d’une plateforme revendicative commune et l’autonomie à l’égard des partis et syndicats traditionnels font de ce mouvement un phénomène inédit dans l’histoire politique de l’Etat espagnol.
Le fait que cette mobilisation se soit développée en pleine période électorale lui a donné une dimension politique majeure. Les cibles principales sont les deux grands partis, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) et le PP (Parti populaire), tous deux perçus comme fidèles au diktat des « marchés » et accusés de tolérer la corruption au sein de leurs propres rangs. Car aux effets de la crise financière et économique globale il faut ajouter ceux liés à la crise de la bulle immobilière espagnole et, avec elle, à la fin d’un « capitalisme populaire » qui s’est développé et qui va maintenant vers une banqueroute évidente, avec près de 5 millions de personnes sans emploi et une crise de la dette publique et privée qui ne cesse d’augmenter.
La réponse que le gouvernement de Zapatero a donné à cette crise, surtout depuis le sommet de l’UE le 9 mai 2010, a été un tournant plus néolibéral : attaques contre les salaires dans le secteur de l’emploi public, nouvelle « réforme » qui précarise encore davantage le travail, passage de l’âge de retraite de 65 à 67 ans, vente d’une partie de la banque encore publique et, maintenant, réforme de la négociation collective qui donne plus de pouvoirs aux patrons. Face à cette politique, la résistance initiée par la grève générale du 29 septembre contre la réforme du travail a été bradée par des grands syndicats par la signature de l’accord avec le gouvernement du pacte sur les retraites. Ceci a constitué un renoncement majeur des directions syndicales au combat contre cet « état d’exception » économique et social.
L’absence d’alternative politique et syndicale a contribué à l’extension du malaise et de l’indignation, de façon diffuse parmi la jeunesse et la population en général. C’est ce qui a éclaté avec toute l’ampleur de ces dernières semaines. On pouvait craindre que la montée de la droite conservatrice aux élections locales et autonomes du 22 mai décourage les gens sortis dans les rues. Cela n’a pas été le cas ! Le mouvement s’est poursuivi en appelant à des rassemblements le samedi 11 juin devant les mairies et les parlements autonomes pour crier les mots d’ordre des premiers jours : « On l’appelle démocratie mais elle ne l’est pas », « Ils ne nous représentent pas », exprimant ainsi leur refus des nouvelles mesures d’« austérité ». Ce sera encore le cas lors de la journée de lutte appelée le 19 juin « contre la crise », qui montre une volonté d’extension à l’échelle européenne, quelques jours avant le sommet de l’UE de signature du « Pacte de l’euro ».
Il est vrai que le Mouvement est très hétérogène et qu’il est encore en train de discuter les revendications faisant le plus large consensus. Mais il a obtenu déjà une légitimation sociale énorme et on voit déjà qu’au rejet de la « classe politique » et une demande de démocratisation radicale s’ajoutent une dénonciation globale des « réformes » et des politiques néolibérales. Refus des réformes de l’emploi et des retraites et des expulsions locatives, mais aussi défense des services publics comme la santé et l’éducation. Il s’agit donc d’un nouvel acteur politique et social qui vient de naître, pouvant créer de meilleures conditions pour une recomposition des mouvements sociaux et de la gauche face à la débâcle du PSOE et le probable retour au gouvernement central du PP lors des prochaines élections législatives.
Jaime Pastor (universitaire,
rédaction de Viento Sur).