Interview de Benjamin Poiret du SUPAP-FSU Paris (SNUCLIAS)
Sur le dossier de la réforme des rythmes scolaires, de nombreux points de vue,
quelques fois divergents ont été médiatisés. D’autres professionnels que les enseignants seront fortement touchés : il s’agit des agents territoriaux qui encadrent et encadreront les activités périscolaires ou qui travaillent dans les écoles.
✓ Pour commencer, peux-tu nous décrire les conditions d’emploi actuelles des personnels qui ont en charge le périscolaire ?
Nos adhérents sont amenés à s’interroger sur la pertinence d’une réforme des rythmes scolaires qui dans de nombreuses communes peut prolonger le temps de présence des enfants à l’école le midi ou dans le périscolaire et ce dans des conditions loin d’être toujours satisfaisantes. Le périscolaire, quand il existe, ce qui n’est pas toujours le cas dans les petites villes et les villages, est souvent exercé par des agents en situation de précarité, à temps incomplet, parfois insuffisamment formés.
✓ La réforme peut-elle donc être une opportunité ?
Nos syndicats, si cette réforme est mise en place, ne manqueront pas, en particulier dans les petites communes, de revendiquer l’augmentation du temps de travail des personnels à temps incomplet et le passage à temps complet de nombreux agents. Ils revendiqueront les créations d’emplois nécessaires et elles doivent être nombreuses. A Paris, par exemple, ce sont près de 500 emplois supplémentaires qui ont été imposés par la lutte et la transformation de près de 2000 vacations exercées à temps incomplet en CDI.
✓ Mais la réalité sera bien différente…
Cette réforme des rythmes scolaires est très insuffisamment financée, précipitée, et peut entraîner des redéploiements d’effectifs et, dans le contexte actuel, des suppressions d’emplois ou de missions de service public. C’est ce qui explique la décision de très nombreuses collectivités de reporter la réforme en 2014. Il est légitime de se demander si c’est vraiment l’intérêt de l’enfant qui guidera les collectivités locales dans leurs choix ou plutôt les coûts engendrés par la réforme. La mise en place de projets éducatifs territoriaux qui concerneraient aussi les collèges, sans tirer le moindre bilan des conditions de coopération entre les collectivités territoriales et l’Etat dans le cadre de la décentralisation, est pour nous une source d’inquiétude. Pour ce qui est des conditions de travail, la nouvelle organisation va profondément modifier les conditions d’exercice des missions des ATE pour le nettoyage des classes et les cantines et encore plus des ATSEM, mais aussi celles des animateurs et des personnels travaillant dans les associations.
✓ Vous demandez le report de la réforme à la rentrée 2014. À quelles conditions pourrait-elle réussir ?
Les financements de la CNAF ne sont pour le moment pas assurés, et encore moins la pérennisation des aides de l’État. Nous revendiquons évidemment le maintien des normes actuelles pour le périscolaire, alors qu’elles sont abaissées à un niveau qui n’est pas acceptable dans le cadre de cette réforme. Les personnes doivent être embauchés avec au minimum le BAFA dans le périscolaire ou bénéficier d’une formation immédiate. Pour réussir la réforme, Paris s’est engagé à décupler l’offre de formation pour le BAFA, c’est dire où on en était ! Alors que dans le statut de la fonction publique territoriale une filière animation existe, de nombreux agents travaillent dans des conditions précaires, voire illégalement vacataires comme à Paris. De nombreuses collectivités freinent la professionnalisation de la filière pour des raisons financières. Nous avons besoin d’un périscolaire de qualité tenant compte des ressources des familles, d’agents formés et, quand les fonctions exercées le permettent, titulaires. Au contraire, dans certaines communes, c’est une dégradation du périscolaire qui peut se profiler, faute de moyens, mais aussi avec la suppression des centres de loisirs le matin.
✓ Le ministre a annoncé que les conseils d’école peuvent être consultés, qu’en est-il globalement des personnels municipaux ?
Les personnels des communes devraient en principe être consultés à travers les comités techniques, mais la réunion de ces comités est souvent formelle et beaucoup de nos employeurs, de toutes étiquettes politiques, ont tendance à se comporter comme de petits barons locaux. Il ne suffit pas de recueillir un avis, encore faut-il en tenir compte !
✓ La mobilisation parisienne est particulièrement médiatisée, on y voit surtout des enseignants, qu’en est-il des rapports avec le SNUipp ?
Le SNUCLIAS a la volonté que ces mobilisations constituent un point d’appui pour la construction du syndicalisme unitaire et interprofessionnel que nous voulons tous. La réforme des rythmes scolaires est d’autant plus conflictuelle à Paris que l’organisation du travail et les modes de vie des enseignants, des parents et des personnels de la Ville sont étroitement conditionnés par le temps et les modalités de transport vers les lieux de travail ainsi que par les exigences des employeurs sur les horaires de travail. C’est l’un des facteurs qui explique les inquiétudes de certains parents et le caractère massif de la mobilisation des enseignants sur Paris. Cette réforme dégrade les conditions de travail et d’emploi des enseignants, dont l’amplitude horaire va s’accroître, sans qu’aucune revalorisation salariale conséquente ne soit envisagée et sans la moindre garantie d’une quelconque amélioration du service public. Dans la discussion, la Mairie a manié la carotte et le bâton, conditionnant des mesures de déprécarisation à la mise en œuvre de la réforme en 2013, et a joué sur la division entre les personnels de la Ville et les enseignants et entre les organisations syndicales. Alors que FO et le SNUCLIAS-FSU, comme une partie des syndicats de l’UNSA, ont réclamé le report de la réforme et appelé à la grève, que les personnels de la Ville de Paris concernés, se sont réunis avec l’intersyndicale enseignante et participé aux rassemblement et assemblées générales, la CGT, majoritaire à la Ville, est restée passive et les animateurs de l’UNSA, majoritaires dans le milieu, ont joué leurs cartes, séparément, espérant arracher le maximum pour la profession. Le SNUipp-FSU et le SUPAP-FSU ont pris, à cette occasion, l’habitude de travailler ensemble et ont appelé à ne pas tomber dans le piège qui nous est tendu par la Mairie de Paris. Notre combat est commun : améliorer les conditions d’apprentissage et d’accueil des enfants dans les écoles parisiennes, tout en obtenant une amélioration des droits de l’ensemble des personnels. Ce n’est pas toujours spontané pour les enseignants de considérer les personnels travaillant dans les écoles et le périscolaire comme des collègues à qui s’adresser et faisant partie de la même communauté de travail. Souvent, les personnels de la Ville ont tendance à considérer les directeurs et directrices d’école comme leur patron. La lutte a permis de nouer des liens de confiance entre notre syndicat et le SNUipp-FSU qui constituent un point d’appui pour la construction du syndicalisme unitaire et interprofessionnel et permettront, nous l’espérons, de préparer dans de meilleures conditions les élections professionnelles de 2014. ●
Propos recueillis par Jérôme Falicon