C’est en novembre dernier, au cours de débats parlementaires
concernant le projet de loi justice, que la ministre de la Justice a
fait voter un amendement d’habilitation pour réformer l’ordonnance du
2 février par voie d’ordonnance. Cet amendement prend le parti dans
son contenu, de vouloir juger plus rapidement les mineur-es afin de
satisfaire à la demande de réponsesjudiciaires plus sévères et plus
visibles.
Le texte fondateur de la justice des enfants a subi près d’une
trentaine de modifications au cours de ces trois dernières
décennies. Cela a eu pour conséquence de remettre progressivement en
cause le caractère spécifique et éducatif de ce texte au profit d’un
alignement vers le droit pénal des majeur-es. La systématisation de la
procédure de déferrement vise à accélérer la présentation d’un-e
mineur-e devant un-e magistrat-e, à la suite de son placement en garde
à vue. Cela génère une prise en compte de l’acte en temps réel, au
détriment de la problématique de l’adolescent-e, par un-e juge de
permanence, qui n’est pas toujours spécialisé-e ou par un-e juge des
enfants qui n’est pas celui qui connaît le ou la mineur-e. De fait,
dans ce cadre, le recours aux mesures de probation, notamment du
contrôle judiciaire se multiplie aux dépens des mesures éducatives.
Pourtant, la délinquance juvénile n’a pas augmenté depuis 15 ans et la
justice des mineur-es est loin d’être laxiste. Ainsi, le taux de
réponses pénales pour les mineur-es est actuellement de 92,5 % alors
qu’il est de 86 % pour les majeur-es (chiffre de 2016). De plus, le
nombre d’enfants enfermé-es n’a jamais été aussi élevé en France.
C’est à l’opposé de l’esprit et de la lettre de l’ordonnance du
2 février 1945 qui institue le principe d’éducabilité, notamment en
prônant le primat de l’éducatif sur le répressif. Faire le pari de
l’éducatif demande du temps et des moyens. Cela passe par
l’instauration d’une relation bienveillante, d’un travail autour de la
problématique, de l’histoire, de la situation sociale du ou de la
jeune et de sa famille, ainsi que par une action éducative participant
à l’évolution et l’émancipation du ou de la mineur-e entre la mise en
examen et le jugement et cela, notamment, afin qu’il ou elle puisse
trouver sa place dans la société.
L’empilement des modifications de l’ordonnance ainsi que le manque de
moyens ont créé une situation inextricable. Au ministère de la justice
et à la PJJ, des magistrat-es et des équipes éducatives se sont
manifesté-es en cette rentrée pour dénoncer le manque de moyens
humains et matériels qui vient fragiliser la qualité du service public
et l’égalité de traitement des justiciables. Or, dans un contexte
d’austérité budgétaire, les moyens continuent d’être consacrés à
l’enfermement avec l’ouverture d’une Prison pour Enfants (EPM) et de
20 nouveaux centres fermés alors que par ailleurs des foyers éducatifs
ferment, augmentant ainsi la disparition et la pénurie de places en
hébergement éducatif.
Pour le SNPES-PJJ/FSU et le Syndicat de la Magistrature, un lien peut
être fait entre l’accroissement de l’incarcération et l’abandon du
primat de l’éducatif dans les dernières lois et les projets actuels du
gouvernement. L’histoire démontre que les politiques d’enfermement ont
toujours été en contradiction totale avec une prise en charge
éducative qui vise à l’émancipation des enfants et des adolescent-es.
Face à l’ampleur du problème et à l’échec des centres fermés et des
structures d’enfermement, la Direction de la Protection Judiciaire de
la Jeunesse et le ministère de la justice refusent toujours de
s’interroger sur les choix inefficaces et appliquent la feuille de
route politique et idéologique du gouvernement sans tenir compte de
l’avis des professionnel-les et des organisations syndicales. Pour
notre part, nous refusons un projet de loi justice qui consacre la
majeure partie des moyens à l’enfermement (avec plus de 50 millions
d’euros) amplifiant ainsi l’échec d’une politique pour la jeunesse en
difficulté de ce pays. Nous demandons l’arrêt de ce programme et le
transfert des moyens budgétaires de ces structures d’enfermement vers
les services éducatifs que sont les unités de milieu ouvert,
d’insertion et d’hébergement éducatifs.
Nos deux organisations syndicales ont engagé ces dernières années un
travail commun pour défendre une justice des enfants et des
adolescent-es protectrice, éducative et émancipatrice. Dans le cadre
d’un regroupement intersyndical et inter associatif large (FSU, CGT et
SOLIDAIRES, SAF, UNEF, GENEPI, OIP), nous construisons une
mobilisation pour défendre une autre réforme de l’ordonnance de 1945
avec une première initiative le 2 février 2019.
L’ordonnance de 1945 ne doit pas être réformée sans débat, sans
prise en compte des besoins réels des adolescent-es
accompagné-es et des professionnel-les, sans retour à une
philosophie bienveillante, protectrice et émancipatrice et sans
une réelle redistribution des moyens en ce sens.
Contribution du Syndicat de la Magistrature et du SNPES-PJJ FSU.