L’éducation prioritaire a subie de fortes attaques idéologiques de la droite pendant les dix dernières années. Grande absente de la loi Peillon, elle attire pourtant l’attention de l’actuel gouvernement qui entend également la « refonder ». Des demi-journées de concertation sont prévues au mois d’octobre avant des assises académiques et des annonces nationales. Elles sont dans la plupart du temps banalisées, il semble donc plus « facile » de libérer une demi-journée pour les enfants des milieux populaires que pour l’ensemble des enfants comme le montre la « consultation » sur les programmes.
Que faut-il en attendre et qu’y porterons-nous ?
De la compensation à l’« égalité des chances »
La création des zones d’éducation prioritaire tendait donc à répondre à la question de la concentration des difficultés dans certaines zones géographiques. Cette accumulation de difficultés d’ordre social (chômage, pauvreté, isolement…), qui engendrent difficultés culturelles puis scolaires, favorise la reproduction des inégalités sociales et géographiques. L’éducation nationale a donc décidé de condenser des moyens sur ces zones afin de compenser les obstacles qu’elles rencontrent. La carte de ces ZEP devait être revue régulièrement pour tenir compte de l’évolution des critères… Un cercle vertueux devait se mettre en place, la diminution des écarts scolaires devant entraîner celle des écarts sociaux et ainsi de suite…
À partir de la création du dispositif « réseau ambition réussite » (RAR) puis des « Écoles, Collèges, Lycées pour l’Ambition, l’Innovation et la Réussite » (ECLAIR) la philosophie de l’éducation prioritaire a glissé vers une politique de personnalisation des parcours sous-tendue par une idéologie de la naturalisation de la difficulté scolaire. On s’est alors orienté vers une contractualisation massive, la transformation lente des emplois en postes « à profil », la création d’un « préfet des études » plus interface entre la hiérarchie et la base qu’animateur comme pouvait l’être le coordonnateur ZEP.
Autrement dit, on est passé d’une politique de l’« avoir moins » qu’il faut compenser à une politique de l’« être moins » qu’il faut contrôler en donnant leur chance aux plus vertueux et en ayant une logique de pacification sociale plutôt que de traitement de la difficulté scolaire.
Éducation prioritaire, éducation progressiste ?
Sans se lancer dans le panégyrique des ZEP des années 80, il faut pourtant reconnaître qu’elles ont suscité chez les enseignant-es de vrais engagements. Beaucoup de collègues se sont investis dans ces établissements et écoles et y ont impulsé des innovations dans de nombreux domaines : travail d’équipe, innovations pédagogiques, travail inter-degrés, ouverture de l’École vers la Cité… La colonne vertébrale sous-jacente de ces professions de foi était souvent politique et se basait sur la volonté de faire entrer ces élèves, qui en étaient les plus éloigné-es, dans la culture scolaire –qui se confond avec une culture que l’on pourrait qualifier de bourgeoise– sans renoncer à leur propre culture populaire, sans hiérarchiser mais sans angélisme.
Il faut bien reconnaître que, si des résultats positifs ont pu être constaté ici ou là, la situation globale des ZEP ne s’est pas améliorée. La cause en est principalement la dégradation de la situation sociale et l’abandon de véritables politiques de la ville par les gouvernements successifs voire une volonté de parquer et de repousser toujours plus loin les « classes dangereuses ». La porte s’est donc ouverte à la mise en place de solutions néo-libérales avec leur cortège de contractualisation, management, contrôle et responsabilisation individuelle qui casse les collectifs de travail. Elles ont imposé une culture du résultat, qui n’est qu’un pilotage par les chiffres dont on connait maintenant les effets pervers comme le montre la situation catastrophique du système éducatif étatsunien. De ce point de vue, l’éducation prioritaire est un laboratoire de dérégulation pour les libéraux de l’ensemble du service public d’éducation.
Pour une vraie priorité à l’éducation
Il n’est évidemment ici question de réclamer la disparition pure et simple de dispositifs qui ont fait plus que montrer leurs limites, même s’il faut rompre avec la gestion libérale symbolisée par le dispositif Eclair (part variable, préfet des études…).
Tant que les inégalités territoriales persisteront, il faudra tenter de les compenser par la baisse des effectifs, par l’octroi de moyens supplémentaires et de temps de concertation et de formation, par la constitution d’équipes pluri-professionnelles (enseignement, santé, social, éducatif)… mais cela n’aura de réels effets que si les contenus d’enseignement sont radicalement revus, plus ambitieux et articulés autour de la culture commune polytechnique pour toutes et tous en répondant par des moyens particuliers à des entrées différentes dans la culture scolaire.
S’attaquer à la ghettoïsation de la société, réintroduire de la mixité sociale serait bien sûr une solution plus efficace, en attendant de changer la société.