Dans l’Education comme dans les domaines de la santé ou de la recherche, une nouvelle idéologie de l’évaluation tend à s’imposer. Un système parallèle s’impose peu à peu au travail quotidien des professionnels. Il fait partie intégrante de la stratégie de réforme de l’Etat : déréglementation, réduction des coûts, augmentation de la productivité, performance, mise en concurrence…
Ce que le ministère tente de faire passer pour une mesure objective en s’appuyant sur la prétendue neutralité des chiffres n’est en réalité qu’un exercice de pouvoir qui vise à exercer son emprise sur les savoirs et savoir-faire en prétendant définir la « norme ». Selon Nathalie Mons (sociologue, spécialiste des politiques éducatives, université Paris-Est), les évaluations nationales ou internationales standardisées « fondent une nouvelle régulation des systèmes éducatifs et s’intéressent désormais, au-delà des résultats scolaires des élèves, aux performances des établissements scolaires, des systèmes éducatifs ».Pilotage des pratiques pédagogiques par les résultats, pour plus d’efficacité ?
Les évaluations nationales CM2/CE1 sont centrées sur le socle commun, inventaire hétéroclite de savoirs peu ambitieux. Elles sont resserrées sur les savoirs dits fondamentaux, excluant tout autre domaine que les mathématiques et la maitrise de langue. Ainsi, elles orientent et tendent à uniformiser les pratiques des enseignants. De surcroit, l’évaluation des enseignants en fonction des progrès des élèves, son rôle dans la gestion des carrières, l’individualisation des salaires avec le développement des primes pour ceux qui font passer ces évaluations, incitent à orienter les pratiques pour obtenir de « bonnes statistiques ».Ce mode de pilotage est critiqué jusque dans les pays anglo-saxons. Un rapport officiel publié en Angleterre constate que dans les classes se mettent en place des stratégies de préparations qui permettent d’améliorer les résultats des élèves à ces tests mais pas « les compétences mathématiques pour le futur » ; en réalité peu d’élèves sont réellement performants dans ce domaine d’activité.
Mise en concurrence des établissements, pour une meilleure performance ?
A l’origine, il était prévu que les résultats des écoles soient rendus publics. Devant l’opposition des organisations syndicales et des parents d’élèves, le ministre a renoncé. Jusqu’à quand ? Il s’agit bien, dans le cadre d’une plus grande autonomie des établissements (projet d’expérimentation « »d’écoles du socle » ou création d’EPEP), de la disparition de la carte scolaire, d’une volonté de mise en concurrence des établissements.Renforcée par la logique des bourses au mérite permettant aux meilleurs élèves des RAR (Réseaux « ambition-réussite », ex-ZEP) de quitter leurs établissements pour étudier dans des établissements mieux cotés, cette politique conduit à la ghettoïsation des établissements les plus en difficulté.
Reconstitution de filières.
Il ne s’agit plus de viser la réussite de tous les élèves mais de répondre à « l’ardente obligation de diversifier nos élites » (Luc Chatel).Ces évaluations doivent répondre à des objectifs quantitatifs, le codage binaire en est l’expression. Elles servent en fait à gérer les flux d’élèves vers l’Aide Personnalisée ou les stages de remise à niveau et permettent la reconstitution de filières, même si, comme dans le secondaire, elles sont « cachées » (sélection par les langues vivantes étrangères…). Le ministère lui même justifie la place des évaluations CM2 en milieu d’année scolaire par la possibilité de repérer les élèves à qui proposer une prise en charge dans le cadre des stages de remises à niveau pendant les vacances.