« Ne pas accueillir, même pour de bonnes raisons, celui qui vient, qui passe, qui souffre et qui appelle, est un acte criminel »
Patrick Chamoiseau
« Humanité et fermeté » qu’ils disent, toute honte bue ! Ce gouvernement inscrit ses pas, sa communication mensongère dans ceux des précédents : l’immigration est un problème, il faut l’endiguer, réprimer et criminaliser les migrant-es et expulser toujours plus. C’est l’orientation de la dernière loi sur l’immigration et le droit d’asile. Loin de revenir sur trente années de propagation du discours de l’extrême-droite en matière d’immigration, Macron en rajoute au lieu de résoudre la seule question qui vaille : comment accueillir au mieux les réfugié-es – tous les réfugiés – qui demandent notre hospitalité ?
Envahissement ? Ce gouvernement et ceux de l’UE n’en finissent pas d’agiter les peurs. La totalité des demandes d’asile déposées dans l’UE ces dix dernières années représente moins de 1 % de sa population (0,24 % de ses 508,2 millions d’habitant-es). Associé au blocage successif des frontières en Europe centrale, l’accord politique et financier signé entre l’UE et la Turquie en mars 2016, et autorisant le renvoi massif des demandeurs d’asile débarqués en Grèce, a provoqué un ralentissement net des tentatives de passage, abandonnant de nombreuses personnes menacées dans leur pays d’origine.
Crime contre l’Humanité
Les restrictions à la liberté de circulation ont pour corollaire des violations des droits fondamentaux, parmi lesquels par exemple le droit de quitter son propre pays, le principe de non-refoulement, l’obligation de porter secours en mer. C’est ce qui conduit le GISTI à parler de crime contre l’Humanité. En 2015, l’UE a pressé le gouvernement italien de mettre fin à l’opération de secours en mer Mare Nostrum. Plusieurs dizaines de millions d’euros ont été transférées au gouvernement libyen en vue d’empêcher les migrant-es de traverser la Méditerranée : 13 000 migrant-es ont été intercepté-es depuis le début de l’année 2017, dont certain-es avec l’aide de patrouilles navales italiennes. « Une fois ramenés en Libye, les rescapé-es sont abandonnés à leur sort et à nouveau détenus dans des conditions inhumaines et dégradantes dans les camps officiels ou clandestins », observe le GISTI, évoquant un rapport d’Amnesty International mettant directement en cause la responsabilité des États européens qui « se rendent sciemment complices des violences et des tortures infligées à des dizaines de milliers de réfugié-es et de migrant-es détenus par les services libyens de l’immigration dans des conditions épouvantables ».
Au pays des droits de l’Homme…
Le préfet des Alpes-Maritimes a été trois fois condamné pour avoir refoulé des mineur-es étranger-es, et la France a été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour mauvais traitements infligés à des mineur-es étranger-es placé-es en rétention administrative, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
De la maltraitance dont font l’objet les personnes en situation d’exil témoignent aussi les violences policières quotidiennes à leur encontre, qui sont loin d’être circonscrites à Calais ou à la frontière italienne, et qui se multiplient aussi à Paris.
« Un jour, on se souviendra avec honte qu’en France, au début du XXIe siècle, une démocratie, son État, ses gouvernants et ses juges, ont criminalisé ce geste élémentaire d’humanité : la solidarité. » (E. Plenel, Le devoir d’hospitalité)
On assiste à une recrudescence de poursuites visant à empêcher l’expression de la solidarité envers migrant-es, réfugié-es, Roms, sans-papiers… C’est le soutien à l’ensemble des personnes étrangères qui tend à devenir suspect, l’expression de la contestation des politiques menées qui est assimilée à de la rébellion et au trouble à l’ordre public. En témoignent les condamnations contre Cédric Herrou pour avoir aidé des migrant-es, avec cette motivation jugée aggravante par les magistrats d’« une démarche d’action militante ».
Le Défenseur des droits, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, à l’unanimité des trente associations et des trente personnalités qualifiées qu’elle regroupe, des ONG aussi diverses qu’Amnesty International, la Cimade, Médecins du monde, Médecins sans frontières et le Secours catholique, ont dénoncé fortement cette criminalisation de la solidarité, mais rien n’y fait, les poursuites et les condamnations pleuvent : procès d’habitant-es de la vallée de la Roya, à Calais, à Paris, à Norrent-Fontes, à Boulogne, à Loos, à Perpignan, à Saint-Étienne, à Meaux…
Mais les militant-es solidaires des migrant-es et réfugié-es poursuivent leur désobéissance éthique. Ils et elles dévoilent l’injustice et la lâcheté des politiques officielles, de tri entre migrant-es et de fermeture des frontières et c’est cela qui est insupportable au pouvoir en place.
Passer à l’action politique
Les collectifs citoyens d’entraide sont nombreux sur tout le territoire. Des associations et collectifs ont organisé ou vont organiser des États Généraux des migrations « pour faire entendre une parole commune, pour rappeler que la seule parole à être considérée comme le légitime reflet de la population française n’a pas à être la parole xénophobe. Pour peser sur les choix et poser les jalons d’une autre politique. » « Nous voulons un mouvement citoyen, explique Nathalie Péré-Marzano, d’Emmaüs. Nous comptons aussi sur tous les citoyen-nes sympathisant-es pour être force de propositions. » Une manière de s’organiser politiquement. « Pour sensibiliser l’État, il faudra sensibiliser l’opinion publique » nous dit Cédric Herrou. Toutes les associations sont unanimes : il faut passer à une action politique en plus de l’aide quotidienne.
Affirmer l’idée d’une citoyenneté universelle, c’est inverser les règles d’accueil des migrant-es, c’est approuver le droit du sol, briser le lien entre le travail et le droit de séjour, bref, c’est abroger tous les choix politiques en matière d’immigration qui ont été faits par les derniers gouvernements. ●
Sophie Zafari