Dix ans de droite, quelle prise en charge pour les mineurs délinquants ?

Loi après loi, débat après débat, l’idée d’une
« jeunesse dangereuse » s’est redéveloppée mettant
à mal la primauté de l’éducatif sur le répressif.
Un pas en arrière de 70 ans ! Retour sur les glissements idéologiques, l’arsenal législatif
mis en place et les pratiques insensées, nuisibles
aux jeunes en difficultés et symptomatiques d’une société qui se perd en haïssant ses jeunes.

Le préambule de l’ordonnance de 45 est assez éloquent pour que l’on se passe de commentaires : « La France n’est pas assez riche d’enfants qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains… Le Gouvernement Provisoire de la République française entend protéger efficacement les mineurs, et plus particulièrement les mineurs délinquants […]. Ils ne pourront faire l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme, en vertu d’un régime d’irresponsabilité pénale qui n’est susceptible de dérogation qu’à titre exceptionnel et par décision motivée. »

Mineurs responsables
et délinquance héréditaire

Les lois et mesures visant à remettre en cause l’adolescent comme un être en devenir, fait de pulsions pas toujours aisées à contenir, et en faire un responsable pénal à l’égal des adultes, se sont multipliées. Ainsi, on tend à faire disparaître l’idée qu’un mineur délinquant est avant tout un mineur en danger à protéger (de lui-même, de son entourage, de son environnement,…). Ce glissement se traduit en partie par un renversement de tendance : privilégier le répressif sur l’éducatif. Nous avons pu le constater une fois de plus durant la campagne présidentielle dans le discours d’une majorité de candidats, stigmatisant une catégorie de population d’autant qu’elle est issue de quartiers populaires. Ces jeunes, selon ces « professionnels de la délinquance juvénile » entrent dans la délinquance de plus en plus tôt donc il faut adapter l’arsenal pénal en fonction (cf encadré). Resurgit également le débat sur la prévention de la délinquance qui vise à condamner les familles dont les enfants sont auteurs de délits et à attaquer les personnels éducatifs dans leurs missions en les contraignant à partager les informations relatives aux familles en difficultés socio-économiques ou/et dont les enfants auraient commis des actes de délinquance (loi de 2007 relative à la prévention de la délinquance). Plus inquiétant encore, l’idée qu’il serait possible de dépister les enfants susceptibles de devenir des délinquants. En 2006, Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, préconisait de dépister dès la crèche les « vulnérabilités » susceptibles de mener à un comportement délinquant, proposition abandonnée mais reparue dans le rapport Bockel de 2010.

Enfermement des mineurs

La réponse à un acte de délinquance se doit désormais d’être symbolique et médiatique : placer les mineurs délinquants au plus vite afin qu’ils ne soient plus dans leur quartier et plus visibles, donc avant tout en Centres Educatifs Fermés : placement contraint dans un cadre fermé pendant 6 mois renouvelable une fois, présenté comme alternatif à l’incarcération. Dans les CEF, la rupture est violente pour le mineur qui est déjà en difficulté, confiné avec d’autres mineurs également en difficultés et un personnel parfois insuffisant, débordé ou non formé. Les fugues et les violences sont fréquentes et souvent les jeunes ressortent avec plus de délits à leur actif qu’en entrant… Sachant que l’échec d’un placement en CEF peut conduire en détention.
Le ministre Mercier, avait prévu avec le directeur de la PJJ l’ouverture d’un grand nombre de CEF. Une vingtaine de foyers devaient être transformés afin d’atteindre la barre des 60 CEF publics. Taubira a pour le moment renoncé à ce projet malgré l’annonce de Hollande de doubler leur nombre. Réelles convictions éducatives et politiques ou projet par trop coûteux ? Dans la loi Mercier est prévue l’extension des placements sous Contrôle Judiciaire à des mineurs de moins de 16 ans, sans antécédents judiciaires, en vue de leur placement en CEF mais également la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, mesure que le gouvernement actuel a supprimé. Cette loi facilite également la procédure de mise sous bracelet électronique (en alternative à l’incarcération ou en aménagement de peine) et l’autorise pour les moins de 16 ans. Effet pernicieux s’il en est, les éducateurs de milieu ouvert qui suivent ces jeunes se trouvent de fait « contrôleurs de probation » puisque garants auprès de l’administration pénitentiaire et du magistrat du bon respect des horaires de sorties et de la localisation du jeune…

Parlons aussi des fameux EPM remplaçant les quartiers mineurs, prévus par la loi Perben et ouverts à partir de 2007. Dans ces établissements censés être des « écoles avec des murs », les jeunes sont en permanence en contact avec des éducateurs de la PJJ et des surveillants de prison. Passons sur les risques de confusion des rôles entre éducateurs et surveillants de prison et les représentations que les jeunes peuvent en tirer. L’éducation nécessite l’adhésion du jeune qui déjà, en milieu ouvert, n’est pas facile à trouver. Comment peut elle se faire dans la contrainte ? Faire de l’éducatif en prison est ce possible ? Surtout, l’éducatif a-t-il sa place en prison ?
Toutes ces structures d’enfermement sont financées au dépend d’hébergements plus classiques tels des foyers ou des lieux de vie, voire des familles d’accueil, qui nécessitent un investissement différent, un suivi différent et surtout une recherche d’adhésion du mineur et de la famille, conditions importantes pour donner du sens au placement et à sa réussite.

Rôle du parquet

Il faut aussi évoquer un autre fait marquant dans l’évolution de la justice des mineurs : la place du parquet. En plus des compositions pénales (art 41-2 du code de procédure pénale, 1999) qui deviennent de plus en plus fréquentes, le parquet, aux ordres de l’état, multiplie les poursuites. Certains mineurs se voient poursuivis pour des faits relevant de l’incivilité et viennent gonfler les chiffres de délinquance. Deux exemples concrets : un mineur condamné pour avoir insulté une camarade dans la cour de son collège, un autre pour avoir dégradé un mur dans l’enceinte du collège ? Au final, ils ont tous deux été victimes d’une double peine: sanction de la part de l’établissement scolaire où dans un cas il a du présenter des excuses et dans l’autre nettoyer le mur avec des exclusions temporaires mais également convocation devant le parquet qui a ordonné une mesure de réparation pénale !

Bien évidemment, le problème de l’éducatif, c’est qu’il est impossible à quantifier. Pourtant, il faut que le jeune adulte en devenir puisse se construire socialement, affectivement, ait le droit d’accéder à l’éducation et à une formation. Tout cela doit aussi s’inscrire dans le cadre d’une politique globale car ce n’est pas un hasard si la majorité des mineurs délinquants est issue de familles en grandes difficultés sociales, économiques, vivants dans des logements vétustes ou en surpopulation, reléguées dans des quartiers dont l’Etat et les collectivités se désintéressent (absence de services publics…).
Ces mineurs délinquants sont des jeunes biens souvent en souffrance, en pertes de repères sociaux, affectifs, familiaux et qui doivent pouvoir disposer d’un accompagnement éducatif, social et psychologique si nécessaire ainsi que d’un environnement favorable à leur développement. Cela demande du temps et des professionnels, ce que l’on semble toujours moins enclin à leur accorder pour privilégier une réponse dans l’immédiat. Une réponse ferme, intransigeante mais médiatiquement rassurante.●

Julien Torres

Trois lois majeures pour les mineurs

Loi Perben I (L.O.P.J) du 9 septembre 2002

– Centres « Educatifs » Fermés (CER)
– Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM)
– intervention en continu de la PJJ dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt
– abaissement de la majorité pénale à 10 ans avec les sanctions éducatives
– comparution à délai rapproché.

Loi Perben II (LAJEC) du 9 mars 2004

– attribution des aménagements des peines à la PJJ
– nouvelle peine pour les mineurs (le stage de citoyenneté)
– combinaison d’une mesure éducative avec une peine
– placement en Centre « Educatif » Fermé dans le cadre d’une liberté conditionnelle
– possibilité de prolonger la garde-à-vue des mineurs jusqu’à 96h dans le cadre de certaines procédures criminelles
– quasi-alignement des règles du casier judiciaire des mineurs sur celles des majeurs.

Loi Mercier du 10 août 2011
– création d’un tribunal correctionnel pour les mineurs de 16 ans en état de récidive légale, composé de trois juges dont un juge des enfants et deux juges non spécialisés ainsi que deux juges citoyens non formés (abrogé par Madame Taubira)
– généralisation des procédures de comparution rapide aux fins de jugement dans la logique des comparutions immédiates des majeurs
– marginalisation de la place du juge des enfants au profit de celle du parquet pouvant traduire des mineurs directement devant la juridiction de jugement
– extension des placements sous contrôle judiciaire à des moins de 16 ans, sans antécédents judiciaires, en vue de leur placement en CEF
– assignations à résidence avec surveillance électronique rendues possibles pour les moins de 16 ans
– stigmatisation accrue des parents par la possibilité de les contraindre en usant de la force publique à se rendre devant le tribunal où est jugé leur enfant et de les rendre passibles d’une amende.